« Votre mission si vous l'acceptez... » [PV]

...Jouer les pacificateurs en allant à la rencontre des êtres qui saccagent notre campement chaque nuit ». Une tâche assez inhabituelle pour le Divum Legi : on les appelait plus souvent pour faire pression avec l'artillerie lourde ou pour s'en servir que pour quémander l'usage de talents de médiateur. Car oui, c'était là ce qu'on demandait à l'historien ; débusquer les responsables de la pagaille semée quotidiennement dans un saccage nocturne des plus troublants pour le sommeil et prendre connaissance de leurs raisons avant de tenter de soumettre l'idée de négociations. Normal en soi, puisque ce vandalisme n'était apparemment pas le retour de flammes d'une quelconque malveillance de la part de ces nomades. Leur petit comité se plaignait plus de souffrir de manque de repos en raison du bruit causé que de ces boucans inappropriés, mais aimeraient tout de même pouvoir dormir sur leurs deux oreilles une fois que ce différent nébuleux aurait été reglé. Arsiesys ignorait s'il était véritablement l'homme de la situation, mais c'était le seul prêt à intervenir dans l'immédiat pour remplir cette nouvelle mission qui, si tout se passait bien, ne comporterait pas cette fois de bavure. À y réfléchir, il n'était pas tout à fait faux que son emploi le poussait à une place de choix pour des rôles plus diplomates que ses comparses, et ce malgré le titre du père de Casey. Tant qu'à faire, c'était aussi l'occasion de mesurer ses compétences en tant qu'orateur en menant le débat avec ces gêneurs, tout en faisant de son mieux pour extorquer des informations concernant le pourquoi de ces actes de dégradation.

Pour y parvenir, encore fallait-il pouvoir mettre la main sur les coupables, et ce n'était pas gagné : la forêt était dense, et ses commanditaires ignoraient tout de la nature de ces ennemis inopportuns. Ne même pas savoir si l'on pouvait parler d'hommes en traitant de ce cas épineux était assez déstabilisant, et c'est pourquoi le fils du désert s'attendait à tout en zigzaguant entre les pins en espérant en apprendre plus une fois chacun d'eux franchi. Sans résultat jusque là, malheureusement, mais cela ne pourrait pas le dépiter à moins qu'on lui fournisse soudainement la preuve de l'inutilité de son action. Que cela arrive eut été surprenant, et ce ne fut pas le cas. Cependant, son aventure dans les profondeurs sylvestres n'avait pas de quoi rassurer, d'autant plus que le feuillage devenait plus touffu et que sa route s'obscurcissait à vue d'œil alors que sa quête se perpétuait. Une antre devait être aménagée à proximité pour que ces turbulents visiteurs puissent venir mettre à bas tout l'ordre de cette modeste tribu chaque soir. Le bois mort était en quantité impressionnante sur le sol foulé par ses pieds dans cette promenade forestière, et l'archer ne s'était pas gêné pour y piocher de quoi alimenter une cheminée pendant deux bonnes semaines. Quitte à devoir vagabonder jusqu'à localiser l'objet de ses investigations, autant se rendre utile – cela ne pourrait qu'être appréciable quand il rentrerait lire au coin du feu que de ramener tant d'approvisionnement pour ses flammes. La tournure prise laissait penser à une balade dans la sauvagerie d'une nature congelée qu'à une expédition vouée à aller parlementer avec « l'ennemi ». Finalement, c'était nettement plus sympathique que ce à quoi le natif d'Arkady s'était attendu.

Toutes les bonnes choses ont une fin, et elle est souvent précoce...

À peine eut-il posé son colis dans la perspective de faire une pause, lassé de la marche, que deux silhouettes familières firent leur apparition tant attendue. Des Singam-Vellai. Encore. Si cela continuait, Arsiesys finirait par penser que quelqu'un avait contracté un abonnement en son nom pour des visites régulières de ces animaux de compagnie si agréables à vivre... Du moins, pour qui ne se sert pas de la magie ou de ses déclinaisons plus ou moins obscures. Et sans doute ces hybrides avaient-ils développé un flair exceptionnel permettant de détecter le fumet particulier de ce hobby si détestable à leurs yeux si purs. Ce n'était pas pour autant que le mage accepterait de servir de tribut sur l'autel de cette haine de la sorcellerie cette fois plus que les autres. Depuis sa première entrevue avec ces fauves, vendre chèrement sa peau était devenu une constante, et celui qui réussirait à le vaincre et à s'adonner à ce rite n'était pas encore au menu du jour. Se reculant pour obtenir un meilleur angle de vue comme de visée, l'historien se prépara à tirer, nullement découragé par les vrombissements hargneux qu'émettaient les félins, pas plus que par les rangées de dents acérées que découvraient leurs babines retroussées pour stipuler clairement ce qu'ils envisageaient. Pas bien original. Mais le vagabond s'y était fait. Analysant le relief de la zone avec circonspection, son corps se projeta vers l'avant alors qu'une première paire de flèches fendaient l'air avec le bruit correspondant. Si l'une érafla dans une giclée de sang l'épaule de l'un d'entre eux, la seconde rebondit mollement sur sa musculature sculpturale, une flèche dans le biceps ayant entrainé un déséquilibre du tir chez le Sidereus.

Voir un adversaire recourir aux mêmes instruments que soi était toujours une plaie sans nom, et ce n'était certainement pas plus agréable quand l'on est dans l'inconfort d'un désavantage numérique. Or, s'étant engouffré dans les plus sombres profondeurs de l'étendue végétale, ce n'était pas la peine de croire au miracle d'un débarquement inopiné. Une seconde flèche vint buter contre sa rotule, butant contre l'os sans le briser. Cela faisait un mal de chien, mais c'était passable, même si pour ne rien laisser paraître, il dut se mordre la lèvre à l'en faire saigner... Ces créatures n'avaient donc aucune pitié ? Les chances pour que cela soit du à une erreur de balistique étaient inexistantes, étant donné l'adresse avec laquelle son muscle avait été touché auparavant. La vivacité de la souffrance avait fait sauter une charge explosive dans son crâne, et un bourdonnement insistant endommageait son équilibre alors qu'un linceul noirâtre se jetait sur sa conscience. Pourtant, la chute ne vint pas... C'était comme pénétrer dans la tiédeur aquatique d'un bain l'attendant depuis une éternité et s'y assoupir momentanément. Dans l'état second de cette transe surnaturelle, l'archer se mit à se mouvoir de gestes rudes mais précis, tel un pantin que son marionnettiste manipule encore un peu trop vivement. Chaque nouveau déplacement était habité d'une raideur flagrante, mais cela ne les rendait pas moins fulgurants; si son enveloppe charnelle n'était pas au mieux de sa forme, cela n'empêchait aucunement de croire qu'un moyen occulte l'avait aidé à se munir d'un second souffle prêtant à la perplexité. Sa voix s'éleva alors, plus caverneuse qu'à l'accoutumée. Quel était ce changement ? Les bêtes s'interrogèrent du regard sans se déconcentrer, tenant en joue cet excellent candidat au sacrifice pour affirmer leur rancœur envers les arts mystiques. Quelque chose ne tournait pas rond... Le membre du Divum Legi se mit à marmonner, articulant avec une telle lenteur que chaque syllabe se détachait des autres. À croire qu'il cherchait à établir une communication en travaillant sa verve pour que les lions blancs le comprennent plus distinctement.

...Évasives sont mes racines valsant sur leurs épines lascives...

Alors que ses bras se remettaient en mouvement, préparant une nouvelle rafale, les animaux humanisés se tinrent sur leurs gardes dans la crainte d'avoir à essuyer une nouvelle vague déferlante d'azur. L'un d'entre eux avait déjà perdu une oreille et ne tenait pas à ce qu'on s'occupe de le retoucher pour établir la symétrie. Seulement, un phénomène inhabituel se déroula alors ; le bleu de son arc d'énergie subit une mue pour virer au rouge le plus vif, celui d'un vin de qualité supérieure... Ou du sang le plus fluide qui soit. Plutôt que de les prendre pour cible, c'est le sol qui reçut la création de ce nouvel équipement à l'inquiétant coloris, ses munitions disparaissant sous la couche neigeuse dans une brusque vibration. Mis en alerte par ce séisme passager, l'archer décocha une flèche en direction de la tête de cette cible de choix. Quelle ne fut pas sa surprise quand l'héritier stoppa net ce qui aurait du l'exécuter en pleine route, à quelques centimètres de son front. La pression de sa poigne brisa la flèche sous les yeux ébahis de l'archer adverse avant que le sol ne se remette à trembler plus violemment, soumis à l'influence de son nouveau contenu. Dans un rire cristallin particulièrement lugubre qui n'avait rien en commun avec les expressions de joie habituelles de l'archer, le flux carmin rejaillit de la surface placée sous les pieds de ses assaillants, escaladant leurs corps à toute vitesse à partir des mollets pour venir cribler leurs troncs d'une flopée ininterrompue d'impacts, les réduisant à l'état de masse de chair sanguinolente au point de répandre des litres et des litres du liquide vital, souillant la blancheur de la couche hiémale tapissant les environs. Un massacre, il n'y avait pas d'autre mot... Mais pourquoi ?