Recherche suicidaire ?

Puisque j’en suis là, à me prendre la tête avec de vieux souvenirs, autant vous expliquez, en quelques leçons, pourquoi partir à la recherche d’un Molok dans un trou paumé est, par définition, une très mauvaise idée.

[Flashback]

Il y’a des jours où l’on se dit, comme ça, qu’on aurait mieux fait de rester coucher. Aujourd’hui est un jour comme ça. Pourquoi donc ? Parce que l’homme que j’aime et accompagne depuis bientôt 15 ans, s’est mis en tête de trouver un Molok. Un nounours géant patibulaire, aussi doux et délicat qu’un petit agnelet venant tout juste de voir le jour, en faisant abstraction des énormes pattes griffues, de la gueule béante garni de crocs gigantesques et du côté sale caractère protecteur et territorial de ces adorables boules de fourrure. En gros, la totale, ou « comment se faire massacrer la tronche en une seule leçon par tonton Joshua ». Et forcément, c’est moi qui doit repérer les traces, les indices et autres machins laissés derrière la bête et qui pourraient nous mener jusqu’à elle, puisque ce cher monsieur est une véritable quiche en traque. Et je ne vous dit pas l’énergie que je mets à faire un tel acte d’inconscience. A peu près la même que celle que met un condamné à mort à avancer vers son bourreau, comme ça vous avez une jolie image pas morbide du tout, pour bien vous faire comprendre ma situation désespérée. Et ce manque de volonté flagrant et que je ne cherche même pas à cacher (ce serait comme cacher une montagne avec une feuille, c'est-à-dire, inutile) a le don d’agacer mon compagnon, qui du coup prend son attitude de sale gosse, ce qui m’agace aussi. Résultat, j’ai fini par me barrer à une distance respectable histoire de calmer mes nerfs, que cet idiot a bien tendus et qui menace de lâcher. Pas trop loin non plus, au cas où les Moloks soient doté d’un humour pour le moins particuliers et que ce soit eux qui trouvent le pauvre homme, ce que je préférerais éviter…

C’est donc adossé sous une arbre que je me prends à ronchonner à qui mieux mieux, râlant contre ciel et terre, ainsi que sur le bougre qui causa mon énervement et du canasson qui trouve amusant de me boulotter les cheveux alors que je suis en pétard, et qui ne va pas forcément tarder à se prendre un grand coup de pied dans l’arrière train, s’il continue à faire le con.

Mais c’est aussi adossé sous un arbre que je prends soudainement conscience que, si les bêbêtes peuvent trouver mon compagnon… Les chances qu’elles puissent me trouver moi en premier lieu sont aussi fortement importantes. Et comme, de nous deux, je suis clairement celle qui dispose le moins de chance… Je vais bientôt faire l’expérience du mot douleur… Ou pas en fait.

Spoiler:

Comme d’habitude, ma chance légendaire frappe encore. Idriss, toujours aussi courageux, se relève et se barre au triple galop. Sympa, je me sens vachement soutenue tout soudain. Mais franchement ! Ce canasson aura ma peau sur un plateau d’argent un de ces jours, je suis sûre qu’il est issu d’une organisation machiavélique visant à contrôler le monde et à exterminer l’espèce humaine au profit des équidés, le tout en commençant par moi. Mais comme je n’ai pas de preuve, et qu’il arrive au poney mutant de trouver une utilité dans diverses actions plus ou moins pourries (du style transporter l’équipement et le reste, surtout, en fait, le reste pouvant me comporter, moi et ma carcasse, accessoirement). Bien sûr, Joshua n’a pas du entendre et ne viendra pas m’aider, parce que ce serait trop beau et que ça m’éviterait de me faire dégommer élégamment par la bête apparue devant moi. Un singam-Vellai, du genre vicius-vici, c'est-à-dire, ce qui, contrairement à tous leurs semblables, se sont mis en tête d’utiliser de la magie. Si des créatures déjà foutrement balèzes se mettent dans le crâne que ce genre de machine déloyale ça peut être sympa pour taper sur d’honnête citoyen, mais où va le monde, je vous le demande !

Mais visiblement, ces bribes de philosophie qui sont pourtant d’un intérêt énorme pour la société de nos jours, n’ont pas du tout l’air d’intéresser le grand lion blanc bipède pour deux sous, à moins que le fait que celui-ci se jette sur moi soit un signe de bienvenu, je me suis toujours demandée, et je crois que je me le demanderais toujours. Parce qu’une créature a l’air pourtant sensé, et pas complètement stupide, ça ne devrait quand même pas se mettre au niveau d’un être humain (créature complètement stupide au demeurant) et taper sur tout ce qui bouge, juste pour le plaisir ou éventuellement parce que ça peut être marrant de latter la gueule de machins qui ressemblent déjà pas à grand-chose de base.

M’enfin, ce n’était pas le sujet, je crois que je parlais d’un félin psychopathe qui me fonce dessus, c’est bien cela ? Oui… je reprends. Comme je suis polie, je lui fonce dessus pareillement. Parce que, oui, même si ce n’est pas très visible, je le conçois, j’ai quelque base de politesse, dont une me dit « Rends ce que l’on te donne », donc, rends les coups que l’on te porte et fonce sur les fous qui te foncent dessus sans la moindre considération. J’envoie la pointe d’Hilal en avant, la lame pénètre dans l’abdomen du Singam-Vellai, lui arrachant un rugissement à en faire frémir la neige autour de nous. Il tente de me porter un coup, mais un bond en arrière m’évite tout dommage. Les choses ne commencent pas trop mal, mais, je connais ma chance légendaire, et un revers de fortune est souvent à prévoir.

D’ailleurs, le félin semble d’accord pour me donner raison. Rassembler sa force, il déploie un bouclier autour de lui, avant de se lacérer le torse pour se donner du courage et de se mettre à briller d’une lueur doré qui ne présage rien de bon… C’est à ce moment qu’on a envie de dire « Eh merde ! »… D’ailleurs je crois que je l’ai dit, mais peu importe, là n’est pas le problème, loin de là, la vulgarité de mon propos n’a pas vraiment l’air de choquer boule de poil. Moi, en revanche, ce qui me choque le plus c’est les deux coups bien sentis que je viens de me prendre dans la tronche à grand coup de magie. Et ça fait vraiment mal, j’ai du mal à me relever, et mon corps n’a pas trop l’air de vouloir suivre les ordres de ma raison. Je finis pourtant par me redresser tant bien que mal, haletante, un œil fermé à cause de la douleur insupportable que je sens filtrer à travers de mon corps. Sur le coup, j’aimerais beaucoup fuir, mais j’ai encore suffisamment de lucidité pour savoir que ce n’est plus possible.

Les derniers instants se jouent à une vitesse folle. A nouveau, mon adversaire laboure sa chair à coups de griffe, ce qui est assez peu ragoutant, en vérité. A nouveau, il me tape dessus, cette fois, j’essaye de me dégager mais me voit obliger d’encaisser le coup avec plus de difficulté que ce que j’aurais cru. J’halète, son prochain coup me sera mortel ou presque, sans nul doute. Rassemblant mes forces, je tente un dernier coup, je parvins à lui labourer les côtes, en brisant une ou deux dans la manœuvre, probablement, mais une violente déflagration me projette en arrière à ma plus grande surprise. Ma tête heurte violemment le tronc d’un arbre qui traînait malheureusement dans le coin de ma trajectoire involontaire. De toute manière, végétal ou pas, je crois que je n’aurais pas pu me relever après ça. Dans ma demi-inconscience, au fond de ma tête douloureuse, je crois entendre un hennissement et la voix d’un homme que je ne connais que trop bien. Un sourire se dessine sur mes lèvres, ces deux là sont des incapables mais, parfois, il leur vient des crises utilitaires, c’est fou…

J’ai la tête qui tourne et un gros mal de crâne l’accompagne gentiment, un peu comme une grosse, une énorme gueule de bois. Seul hic, je n’ai jamais la gueule de bois. A force de petite boisson et ce à un âge relativement peu élevé (ce serait indécent de vous dire à quand remonte ma première cuite), mon corps s’est fait à l’alcool, du coup, ses effets néfastes sont moindres par rapport à ce qu’ils avaient été, donc pas de perte de mémoire, pas de nausée et autre truc bien dégoutant que je préférerai ne pas évoquer… Mais toujours un comportement un peu trop… Chaleureux, après quelques verres. Mais bref, tout ça pour dire que ce n’était pas la raison d’un tel malaise. De plus, et malheureusement, ce n’était pas dans ce trou paumé que j’aurais pu trouver pareil réconfort. Juste qu’après une telle raclée, il est normal que mon organisme ronchonne un peu, histoire de bien me faire sentir que la prochaine fois, j’ai intérêt à me prendre moins de coup et à prier pour mon âme… Sauf que je ne le ferai pas… Rien que par esprit de contradiction et peut-être parce que je dois avoir un côté masochiste, comme tout être humain se respectant, voir comme tout être humanoïde, en fait…

C’est là que malheur, ô malheur, j’ai la mauvaise idée de me relever. Je ne vous raconte pas la fanfare de protestation violente dans ma pauvre tête rousse. J’impose cependant ma volonté à tout ce petit monde en me mettant en position assise, car, oui, j’étais allongée. Je regarde autour de moi, ce lâche d’Idriss renâcle en secouant la tête et Joshua n’est pas là, évidemment. Ce qu’il est allé faire ? Je ne sais pas et je m’en fiche, ça me fait une excellent raison pour ne pas me lever, ou plutôt, une absence de raison pour me lever, ce serait plus correct. Par conséquent, je me recouche et je ferme les yeux, comme si tout ça pouvait faire cesser les remontrances que ma matière cérébrale semble vouloir faire à la partie osseuse qui la recouvre soigneusement. Et tout ceci, seulement pour entendre le fou rentrant en chantonnant (fort et faux) quelques trente secondes plus tard. De quoi mettre en rage même le plus saint homme que je connaisse. Je grogne, râle, finit même par gueuler malgré tout mes maux et me fait finalement interrompre par un impertinent bol fourré dans ma bouche et surtout par le liquide affreusement amer qui s’en écoule. C’est un choc… Et le temps que je prends pour m’en remettre suffit à Joshua pour me faire avaler jusqu’à la moindre goutte de sa dégoutante mixture.

Je finis néanmoins par me débarrasser de cette agression gustative et je foudroie l’homme du regard. Il me sourit, à cet instant je comprends qu’il n’y a rien à dire : il ne répondra pas, j’aurais beau le traiter de tous les noms, il se contentera de fredonner et de partir. C’est ce qui est frustrant avec ce type, ce côté mystérieux, doux, gâché par un penchant pour les plus basses conneries et une brusquerie maladroite qui peut rappeler la mienne… En plus calme.

Je soupire, le regarde partir et me recouche en grommelant, tout ça sous le regard blasé de mon horrible canasson. Je ferme les yeux, commence à chercher le sommeil, en trouve la porte… Et j’aurais pu, oui, j’aurais pu m’endormir, sans compter la présence de truc dont l’ambition principale semble de m’emmerder en toute situation. Surtout quand je ne suis pas dans des conditions favorables à la bataille. Le jour où j’accoucherais, si un jour je me dois de faire un truc pareil… Je suis sûre qu’ILS seront là et que ce sera dans les pires conditions possibles. Le comble sera probablement que j’y survivrai…

Spoiler:

Et qu’est-ce que je viens dire ? Qui se ramène devant ma pomme avec un air aussi amical que son cousin, qui m’a précédemment mis une raclée comme pas possible ? C’est le minou à sa mémère ! C’est le mignon, le trognon, le tout gentil, tout poilu et tout roudoudou ! C’est le petit Singam-Vellai ! Ouh qu’il est mignon avec son joli petit arc pointé sur moi !... L’arc est moins mignon cependant, la flèche qui m’a l’air bien pointue aussi… Et maintenant, autre devinette ! Qui vient de se barrer au triple galop en laissant sa maitresse plantée là comme une cruche ? Tout ceux qui n’ont pas dit « Idriss » ont faux, tout ceux qui ont nommé ma lâche monture dont la couardise n’a d’égale que sa propension à me foutre dans les situations les plus inextricables et les plus inconfortables que l’on puisse imaginer, ont trouvé la bonne réponse et n’ont strictement rien gagné, si ce n’est la preuve qu’ils ont suivi le cours de mes pensées, qu’ils savent lire et qu’ils ont un tout petit peu de logique. Ce qui, en soi, n’est déjà pas si mal, comme prix pour avoir deviné que le poney mutant s’était à nouveau tirer à l’approche du félin. J’aurais bien fait comme lui, seulement je me meus sur deux pattes, non sur quatre et en plus, la peluche géante me bloque le chemin… Si c’est pas bête ça !

Mais bon, vous savez, quand on manque d’option pour sauver sa peau, globalement, je peux vous dire qu’on choisit avec exactitude celle qui nous offre les chances de survies les plus importantes. Quand on a un soupçon de jugeote et des neurones en état de marche en quantité suffisante. En l’occurrence, ma situation ne m’offrait qu’une seule solution plausible : bats-toi ou crève. C’est donc de bon cœur que je pose ma main sur la hampe d’Hilal que je pointe avec flegme vers la créature avant de lui foncer dessus (avec moins de flegme) en évitant une flèche avec une grâce toute naturelle, pour mieux lui planter la lame dans l’épaule, faisant gicler le sang et rugir la créature, qui a tôt fait de me rendre la pareille à l’aide de son arme. Si charmant !

Je vous avoue, quand on est crevé et qu’on se retrouve dans ce genre de situation, la moindre contrariété vous fait rapidement oublier toute douleur. C’est ce qui se passa et c’est comme ça que j’ai littéralement défoncé le minou, lui flaquant le plat de mon arme dans la mâchoire, qui répondit aux politesses brutales de l’acier par un craquement sinistre, qui résonna avec un charme étrange à mes oreilles. De même, les deux flèches qu’il m’envoie au travers de la tronche ne font que m’effleurer, je ne les sens même pas. Ce qui me permet de l’empaler délicieusement.

J’ai toujours trouvé ironique qu’une femme telle que moi finisse par pénétrer des hommes avec un outil largement plus long et large que le leur… En même temps, ce serait un mensonge, voir pire qu’un mensonge de dire que je n’en tire jamais aucune satisfaction, certain connard mérite de tel châtiment voir même pire que les morts que je suis capable de leur procurer. Mais, ce n’est pas mon but, je ne me fais pas justice et je me contente de tuer ceux qui m’ont cherché, ce n’a jamais été, ce n’est et ne sera jamais un plaisir pour moi que d’ôter la vie… Quoique…

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