Vive le vent d'hiver... [PV]

La froideur des environs avait su trouver un refuge dans lequel s'abriter en la personne d'Arsiesys, le corps perforé soigneusement par la pointe menaçante que manipulait son antagoniste. La morsure du gel vint décupler l'effet de cette percée en s'engouffrant dans ses blessures, inspirant la froideur d'une lente agonie à ce corps tailladé dans un effondrement progressif, perdu dans les failles d'une défaite assassine. Le score était rétabli, la balance remise en équilibre, l'égalité rénovée. L'ange noir avait su mener sa riposte à son terme... L'archer ne put que perdre pied et s'abandonner aux flots noirs de l'inconscience, contrastant avec la blancheur de cette neige accueillante prête à transir son enveloppe lacérée. Ne pas être combattant par vocation n'était pas toujours un atout et il ne pouvait que l'apprendre à ses dépends dans cette descente aux enfers, devenus enneigés en son honneur alors que sa poigne relâchait ces poignards rendus inutiles par l'estocade assénée.

En était-ce fini ? À la merci de son tortionnaire, tout indiquait que l'exécution ne serait que question de seconde, à moins que ce bourreau ailé n'ait à souhait de faire durer le plaisir en reportant ce tribut. Aucune chute à travers une mer de nuages ne pourrait l'extraire à la main vengeresse de ce froid calculateur qu'était le Zéphyr, et son engourdissement ne pouvait que nuire à tout éventuel emportement de son ennemi dans les abysses de la mort. Le sauver ne serait offert à personne dans cette hivernale solitude ourlée de vermeil, le fluide rougissant serpentant dans la blancheur immuable pour narrer d'une esquisse ce dantesque pugilat. Rendre les armes et se laisser aller à son inertie, la stase l'empoisonnant et l'entravant dans la profondeur d'une léthargie salvatrice, parade à la douleur grandissante... Guérison salutaire ou délivrance fatale ?

Une semaine de sommeil, ou presque. C'était ce que lui avait annoncé le vieux bucheron en lui apportant un grand bol de soupe, qui l'avait fortement aidé à émerger de son repos prolongé. Ses plaies n'étaient pas des plus banales et les réparations pratiquées n'étaient que fort sommaires; tout mouvement brusque pourrait le faire ruisseler de sang de toute sa hauteur. Tout ce qui avait précédé son endormissement était flou, mais pour se réveiller dans cet état, ce ne devait pas être des plus anodins. Cette défaillance mémorielle ne lui ressemblait pas... C'était comme si on avait posé un filtre sur ses souvenirs, que son esprit occultait spontanément ces scènes douloureuses pour quelque sombre raison. Allez savoir pourquoi il avait cette impression, et pourquoi ce serait le cas si cette idée farfelue se confirmait miraculeusement. Après s'être abondamment restauré pour faire rattraper à son organisme l'absence de bons traitements pendant la durée de cet ersatz de coma, il s'était risqué au dehors, les mains dans les poches, pensant que la fraicheur d'un vent glacé lui rafraichirait peut-être les idées aussi bien que le corps. Son contrôle sur la mana semblait perturbé et son arc subissait des interférences quand il était invoqué, et il en allait de même pour les projectiles qui allaient de pair.

Une sorte de force statique qui se serait incorporée à la fabrication de ces ustensiles pour compromettre toute utilisation. Comment tirer droit avec une arme qui vibre et grésille à intervalles réguliers ? Tout n'était que chaos dans son esprit, et sa faiblesse corporelle n'était certainement pas le meilleur confort qui soit pour réfléchir à ces absences et tenter d'y poser une explication qui tienne la route. Perché sur une série de rondins superposés au sommet d'une colline, il observait la blancheur en contrebas, récupérant des courbatures qu'il avait ajoutées à ses écorchures en venant en aide à son bienfaiteur pour lui rendre la pareille après le service qu'avait été de lui sauver la peau. Car d'après le nombre et la profondeur des stigmates et la quantité sanguine décrite par le bon samaritain quand à l'environnement dans lequel il gisait au moment de sa découverte, il y serait très certainement passé si on ne lui était pas venu en aide. La chevelure nouée en une élégante queue de cheval, Arsiesys laissa ses paupières se clore pour maximiser sa concentration avant de plonger, voyageant dans les profondeurs de sa conscience pour en faire sortir tout ce qui concernait ces faits... Ce ne fut toutefois pas ce combat qui jaillit mais un bien différent, datant d'un mois si ce n'est plus. À vrai dire, pour être exact, cela remontait à l'un de ses tours de garde pendant les travaux de rénovation de l'auberge leur tenant lieu de quartier général. L'un de ses premiers contacts avec ces titans immaculés, ces colosses à fourrure qu'étaient les Singam-Vellai. Des hérétiques, pour être précis, allant à l'encontre de leurs propres doctrines pour user des arts qu'ils bannissent formellement de leur culture.

Dans sa ronde de surveillance, l'historien n'avait aperçu aucun fait louche pouvant laisser suspecter un quelconque danger approchant de ce qui allait devenir un repaire tout confort. Le retapage allait demander de l'huile de coude par cargaisons entières, mais le jeu en valait la chandelle. À l'image de la guilde qu'ils avaient montée, le plus gros avait été fait en installant le support central. Maintenant, il fallait l'affiner en tous sens pour la faire briller de toute sa splendeur sans laisser trainer l'ombre d'une poussière qui pourrait l'entacher. Cela pouvait avoir ses faux airs niais, mais rien de bien méchant : cela n'avait jamais tué personne, après tout. Dans un élan de candeur, le métisse avait vu cela comme étant la version moderne pour adultes de la construction de cabane à laquelle quiconque ne pouvait échapper étant enfant. Une tradition remise au goût du jour par la préparation à l'emménagement sur laquelle tous s'usaient la santé pour en avoir fini au plus tôt. Etant mal à l'aise avec les tâches manuelles, Arsiesys avait été chargé de gérer la sécurité du site. Empêcher des ennemis d'entrer et les mettre à mort était relativement difficile quand on n'avait sous la main qu'un marteau et une pincée de clous, même si c'était moins inoffensif qu'on aurait pu le croire - les pieds des reconvertis en ouvriers en avaient fait l'essai à plus d'une reprise.

Faisant une halte pour se désaltérer d'une lampée de boisson en scrutant le firmament obscur, il n'avait repris son déplacement que pour esquiver de justesse une boule de feu qui manqua de lui roussir le poil, sans avoir perçu son arrivée en fanfare. Alors que l'eau retombait en fines gouttes sous forme de bruine à l'endroit ou avait explosé la sphère incandescente, l'archiviste retraça sa trajectoire du regard jusqu'à découvrir deux silhouettes musculeuses au sommet d'une aspérité rocheuse d'importance, disparaissant partiellement derrière la cime des énormes pins poussant dans la région. Synthétisant instantanément son arc, le natif d'Arkady l'avait alors brandi dans la direction de ces ombres menaçantes, prêt à tirer au premier geste douteux aperçu. La distance ne l'empêcherait pas d'anticiper une nouvelle fourberie, la précision de son regard d'aigle étant sans limites.

Qui êtes-vous et que voulez-vous ? Je n'ai point dans l'idée de vous être nocif à moins que ce ne soit ce que vous désiriez ; inutile de vous en prendre à moi si ce n'est que par crainte. Si vous persistez dans cette voie, je me verrai en revanche contraint d'utiliser la force pour vous oblitérer dans les plus brefs délais. Le choix vous appartient, messieurs.

Un grognement indistinct s'éleva de leur position, visiblement hésitant. Ils parurent échanger quelques paroles et gestes entre eux, laissant penser à une querelle née de ce pouvoir manifesté par le gardien de cette auberge. Mais l'animosité parut l'emporté et quelques éclairs bleutés crépitèrent entre les mains griffues du bipède se remettant à ses incantations, décidé à pourrir la vie aux charmants habitants de cette pittoresque auberge. Assumant son rôle, Arsiesys se propulsa vers l'avant et décocha une série de flèches visant chaque membre de celui demeuré en retrait. Exception faite d'une marginale qui rebondit sur sa cuisse gauche, toutes se glissèrent dans les chairs pour relâcher un fort courant qui ne saurait épargner ses séquelles. Un cri bestial tonna dans les environs, faisant fuir les oiseaux témoins de la scène. Retour à l'envoyeur. Quoi de plus normal. Un dernier tir centré en plein crâne fit taire le râleur, vraisemblablement commanditaire de cette expédition punitive dépourvue de raison. À part s'installer dans ce doux foyer, quel crime pouvait bien leur être reproché ?

La lueur des flèches criblant le corps de son semblable parut troubler longuement le second félin avant qu'il ne sombre dans la rage et assène une décharge électrique de haut voltage au tireur, qui crut mourir sur place tant la foudre était violente. Ce n'était pas pour plaisanter... Magie entre leurs mains ou pas, ils étaient toujours aussi peu réceptifs à celle d'autrui que leurs confrères. Pour couronner le tout, ce soudain déchaînement avait fait bander les muscles à la bête sauvage et le trait parti involontairement sous le coup du court-circuit ricocha mollement sur son derme velu. Pour s'encourager, il se mit à se griffer le torse sans retenue, y laissant de rouges sillons creusés à même la peau. Alors qu'il se mettait en forme pour continuer par ce rite inhumain, Arsiesys fit traverser son épaule par deux flèches, des lames de vent venant ensuite taillader son bras droit assez lourdement. Comment être insensible à une telle brutalité ? Un cri dans la nuit fut la démonstration que l'archer ne pouvait encaisser durablement de telles frappes. De plus, agir de si loin l'exposait à la magie ennemie comme elle mettait son opposant dans la ligne de mire de la sienne... Cruel dilemme, vite résolu par l'urgence et sa fragilité.

Il devait vaincre sans plus subir sans quoi il n'aurait plus la force d'écarter cette menace de leur abri. Il se sentit pousser des ailes et prit son envol au sens propre, se projettant dans les airs grâce à un sort de lévitation plus que rudimentaire, mais qui l'enverrait coller le grand lion comme son ombre. Difficile de jouer avec la prestidigitation quand le dindon de la farce est si proche que cela reviendrait à se détruire soi-même simultanément. Les mains libérées par la disparition de son outil préféré, il s'empara de l'un de ses couteaux pour se jeter sur le corps sculpural de l'hybride, prêt à le poignarder... Avant de se reculer brusquement et de régénérer son instrument, le pointant sur le Singam-Vellai après avoir feinté deux rayons de lumière.

Echec et mat, mon brave. Veuillez faire preuve de davantage de politesse, la prochaine fois que vous souhaiterez vous présenter à notre domicile. Revenez quand bon vous semblera, je vous accueillerai avec tout autant de plaisir que je viens de le faire !

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L'image se morcela avant de le laisser, désemparé, face au vide s'étendant en contrebas. Ses fouilles mentales n'étaient pas finies...