Retour au bercail. J'avais pas envie, mais bon...[PV]

Devant moi, heu...rien. On n'y voyait rien en fait. Mais vraiment hein. Le voile opaque de la brume empêchait toute tentative d'appréciation du paysage. Dommage, revoir mes glaciers aurait été marrant, sur le moment, mais la journée était particulièrement mauvaise. La traversée l'avait été, elle aussi. On avait essuyé un amalgame de cumulonimbus qui avait manqué de nous faire échouer le rafiot sur lequel j'avais jeté mon dévolu. Vachement impressionnant, quand on voit ces immenses colonnes de nuages aller jusqu'au cieux, chargées de noirceur et d'éclairs. Ça fait franchement flipper, sur le moment. Enfin moi ça me ferait flipper, si je m'accrochais à la vie, hein. Les marins, eux, ont réagit comme des chefs, s'attelant à faire passer notre esquif de l'autre côté des intempéries, alors qu'au fond d'eux, je le voyais, ils étaient morts de trouille.

Mais maintenant ça allait mieux, c'était juste à la vigie et au pilote de faire dans leur froc. Quoique le chemin était relativement bien jalonné, les gros pépères de Valkor ayant eu quand même le temps d'apprendre à naviguer dans ces eaux, et surtout à développer une route assez sûre pour l'ouverture sur le monde extérieur. Quand à votre humble serviteur, il regardait dehors, sur le pont, au niveau de la proue, essayant vainement de distinguer quelque chose dans cette purée de poix. J'en profitais aussi pour réfléchir un peu aux implications de mes retrouvailles avec Casey, que je n'avais pas vu depuis un moment, enfin de visu. Il avait bien grandi, à ce que je m'étais laissé dire, et possédait son vaisseau, avec lequel il parcourait l'océan céleste. Il avait toujours eu du cran, de toute façon, même petit. Ouais, le revoir me ferai plaisir. Même si cela me mettrais un peu mal à l'aise, compte tenu du fait que je me sois un peu volatilisé comme un voleur, pour éviter de faire remonter des pistes jusqu'à lui. Mon Maître avait été très clair là dessus, des amis sont une faiblesse que l'on peut exploiter.

Je me demandais d'ailleurs si cela n'allait pas me causer des problème, à la longue. Si le Syndicat, où du moins une partie, se croyait assez maligne ou téméraire pour vouloir ma peau, alors ça allait engendrer des surenchérissements, vu que je ne me laisserais pas faire. Je voulais pas qu'un proche prenne pour moi. En fait, mon avenir était à présent aussi obscur que le brouillard que je regardais à présent. Restait à savoir si j'allais percuter ou non une crête acérée sur mon chemin.

Perdu dans mes pensées, je regardais proprement dans le vide. Enfin quand je dis vide, c'est regarder sans voir, hein, pas zyeuter le fond du gouffre. Et c'est la que je me suis rendu compte que devant moi la brume semblait miroiter, comme changer de ton. En fait, c'était comme si quelqu'un s'amusait à passer et repasser dans ce voile opaque, tournant autour du vaisseau. Super, mon spider-sens du danger m'alertait que quelque chose n'allait pas, ce qui me sortit de ma torpeur contemplative. Ça n'allait peut être pas barder, mais je pensais toujours le pire, pour ne pas avoir de mauvaises surprises. C'est lorsque les nuages explosèrent à mes yeux que je vis mes doutes confirmés. Une abominations aux traits vaguement féminins déformés par la rage traversa mon champs de vision, avant d'effectuer un cercle au dessus du pont, se trouvant au niveau de la grande voile. Elle poussait des hurlements, la sale bête, qui faisait déjà pisser les membres d'équipage dans leur froc. Moi, grand professionnel, j'avais déjà enclenché mon arbalète, attendant de l'avoir à ma portée. Je lui fit signe, l'appâtant avec des gestes de la main pour la faire réagir. C'est lorsque dans un cri de colère qu'elle se lança vers moi que je compris que sa vitesse était fulgurante, laissant derrière elle une simili-onde de choc dans le brouillard ambiant. vache, je ne comprenais toujours pas comment ces saletés de femelles pouvaient survivre aux rigueurs du climat avec juste une armure et du cuir bouillit sur le dos. Mais pour le moment, je devais d'abord faire un accueil à Madame, histoire de monopoliser son attention. Il aurait été malheureux qu'un marin soit la proie de cette furie. Vous me pensez gentil? C'est juste que je voulais pas prendre son boulot pour le reste de la traversée.

Je lâchais un premier carreau que la diablesse évitait dans une vrille que j'avais prévu, avant de corriger mon tir pour la harponner avec un deuxième projectile. Celui-ci s'était logé profondément dans son armure, à la jonction entre deux plaques, lui coupant le souffle - et ses cris pour le compte - et redoublant sa colère, à terme. Ce fut d'ailleurs un moyen supplémentaire de la booster pour qu'elle vienne sur moi, esquivant l'une de mes attaques au passage, avant d'essayer de m'arracher la tête avec ses griffes aussi longues et acérées que des poignards Karnaks. Je ne me jetais sur le côté qu'au tout dernier moment, pour rester au contact le plus proche possible, avant de saisir ma dague en main droite, et d'effectuer un arc qui vint la cueillir au visage, lui ouvrant la mâchoire dans une gerbe de sang. Bon, au moins maintenant, elle avait la gueule de l'emploi, si je pouvais dire. Je profitais de son aveuglement momentané pour placer une seconde frappe, que je logeais encore une fois dans le défaut de son armure, entre deux plates, enfonçant ma Belle de Nuit dans son ventre si ferme, et pourtant si mou face à ma Sombredague. L'autre me répondit bien par une manchette griffue, que je contrais du coude, me servant de sa force impressionnante contre elle, comme me l'avait appris mon Maitre. Elle fit un tour sur elle même, essayant de convertir sa pirouette en seconde manchette, mais je passais sous sa garde, fonçant dedans de l'épaule gauche, tout en frappant d'estoc de ma main droite, perçant cette fois son poitrail, droit au cœur. La bestiole passa par dessus le bastingage, s'enfonçant dans des profondeurs inconnues, pour finir son peu de vie. Je me remettais d'aplomb, lentement, avant d'écarter les bras dans un cris triomphant.

J'entendis un marin demander à son collègue, derrière moi:

J'arrivais de nombreuses heures plus tard, après une traversée qui s'avéra plus tranquille. Marrant tout de même, quand on tue quelqu'un, comme le monde semble s'équilibrer et nous foutre la paix. Bref, j'accostais dans le grand port de Ragnarok sans encombre, bien que me retrouver ici après tout ce temps me filait un gros coup de nostalgie. je me revoyais là, avec mes idées et mon petit courage de gamin, à m'engager sur le harponneur, ayant survécut aux périples de cette ville...Bon pas le temps de se faire le roman-photo, j'avais du pain sur la planche moi. D'autant que...hey mais je connaissais cette silhouette dans la foule. Ce cactus bleu m'était franchement familier, d'autant qu'en s'approchant de moi, je le distinguait petit à petit, au travers de la brume des docks. Si c'était la personne à qui je pensais, je crois bien que j'allais au devant de quelque histoire...ma patte de lapin!

Trouver le port. Elle était bonne, pour un étranger qui ne connaissait rien de la disposition des divers endroits à connaître des bourgades environnant son nouveau logis. Par chance, quand l'individu en question était débrouillard et doté d'une certaine veine, on pouvait toujours s'arranger avec celle-ci au hasard de ses pas pour arriver à bon port au bout du compte. Un incident superficiel insuffisant que pour tenir rigueur à celui qui l'avait envoyé jusque là sans transmettre les indications requises au bon accomplissement de son itinéraire du début à la fin comme le bon sens le voudrait. Si la couche blanche dans laquelle les pas s'enfonçaient jusqu'au mollet dans un bruit étouffé ne convenait pas à certain pour sa risible petitesse, les nuées de flocons qui arrosaient copieusement le sol répareraient cette faiblesse discutable. Résolu à s'habituer à ces tombées intempestives, Arsiesys n'en releva même pas les bribes qui trouvèrent refuge dans sa tignasse originale, vouées à fondre rapidement. Sorti tous les jours ou presque pour se faire à l'agencement des environs, les tombées d'albâtre n'étaient plus qu'un humble détail secondaire parmi tant d'autres, partie intégrante du panorama de la culture Valkor.

Panorama qui, à sa façon, avait son charme lorsqu'on prenait la peine de creuser la couche inhospitalière des contrées glaciales jusqu'à l'appréhender. L'habitude faisait tout le travail, et la prendre était indispensable pour qui se retrouve à devoir vivre dans le coin pour une durée indéterminée. Elaborer chaque détail de leur grand programme serait long et le pointillisme était à convier, jusqu'à ce que tout soit ficelé dans les moindres broutilles, alors prédire jusqu'à quand s'étalerait leur séjour. Un voyage était source continuelle de découvertes et d'apprentissages, d'approfondissements et autres renouveaux. Un bon bol d'air frais qui permet de mieux respirer et de voir plus de ce que la vie a à offrir. Si ces vacances, en plus, étaient en bonnes compagnie, pourquoi s'en plaindre ? Par sens du devoir, se rendre aux quatre coins du monde était devenu une constance. Une fois de plus ou une de moins, que cela change-t-il ?

L'entourage susvisé allait d'ailleurs s'agrandir sous peu, et c'était précisément le motif de sa venue jusqu'à l'amas de navires de tous gabarits et standings, amarrés côte à côte le long de l'immense zone prévue à cet effet. La taille démentielle de cette partie de la ville avait de quoi en accueillir un nombre incalculable, et se retrouver pile devant le vaisseau à bord duquel se trouverait leur correspondant serait une tâche ardue. Arsiesys faisait confiance à sa chance pour ce genre de choix, et n'avait jamais fait un choix erroné jusqu'à ce jour dans des circonstances semblables. Le relief inhabituel pouvait fausser les calculs, mais la deuxième tentative serait la bonne. Et en cas d'erreur, jamais deux sans trois... Et ainsi de suite. Pas de quoi perdre la face, c'était compréhensible. Même la chance a le droit de souffrir de conditions nouvelles et d'encaisser un rhume ou autre avarie qui explique son dysfonctionnement, une fois de temps à autre. Quand à avoir deviné le jour, l'heure et l'endroit d'arrivée du mystérieux olibrius... Chacun bénéficie de ses petits secrets, n'est-ce pas ? Pourvu de la certitude de voir bientôt venir l'esquif à bord duquel le rejoindrait le bougre, le mage laissa ses pas guidés par le hasard l'amener à acheter une boucle d'oreille terminée d'un saphir à la teinte similaire à sa chevelure à un marchand âgé, pour une somme modique.

Ne demandant pas d'oreille percée pour prendre place, le bijou enlacé de fioritures dorée fut installé en un rien de temps, pour disparaître sous le couvert des interminables mèches. Un embellissement discret à l'utilité limitée, pour atténuer l'attente. Enjoué par la trouvaille qu'il arborait, installation fut faite sur un muret de pierre auprès d'une portion de quai encore vide de monde. Son visage déjà rayonnant s'éclaira de plus en plus à l'approche d'un bâtiment prêt à accoster. La tête relevée vers la proue sculptée sans détailler l'ornement, c'est son plus beau sourire sur les lèvres que l'archer de mana sauta sur ses pieds dans un bruit caractéristique de semelle qui s'écrase sur un épais volume propre à la plus froide des saisons. S'aventurer tant bien que mal jusqu'au bout du débarcadaire lui demanda plus d'efforts, mais ce n'était qu'une déplaisance momentanée. La touffe de cheveux blancs lui ouvrit naturellement la voie entre les matelots en plein débarquement, jusqu'à l'individu qu'il était venu quérir. À son visage, deviner la stupeur de ces retrouvailles ne demandait pas de grande perspicacité...

Ces mots à peine prononcés, des bruits intriguants attirèrent son attention, à mi-chemin entre le véhicule tout juste posé à destination et la foule à laquelle se mêlaient ses hétéroclites passagers. La tête enfouie dans le col élevé de son vêtement chaud, prévu pour sauver la peau à sa santé dans ce climat novateur à hauteur de l'arête du nez, le métisse ne bougea pas d'un poil. Depuis sa position, son ami était dans l'angle parfait pour voir de quoi il retournait. C'est fou comme Dieu - si toutefois il y en a un - se montrait cynique à leur égard, à croire que, d'humeur à plaisanter, l'envie luiétait venue de concevoir une loi de la nature selon laquelle une réaction spontanée veut que, lorsque deux personnes précises soient réunies, tous les ennuis du monde leur tombent sur le citron... Finalement, ça l'arrangerait que sa bonne fortune ne soit pas grippée, pour que la réussite soit égale à celle des fois précédentes, vu la dimension des précédents déboires. À Dieu va.

[ Pompage de mise en page no jutsu ! ]

Ben oui, il était bien là, à me sourire, avec sa tête touffue et bleue. Vraiment, il était un des plots jalonnant ma vie, à présent! Et apparemment, ma stupeur que j'avais eu du mal à dissimuler semblait l'amuser un peu plus. Ouais, bon, j'avais une mine à refaire, une expression à recomposer. Reprenant l'un de mes sourires les plus flamboyants, j'ouvrais les bras tous grands, devant mon camarade.

Là, c'était le plus petit qui avait parlé. Genre émissaire, quoi. Le grand avait juste approuvé d'un beuglement proche du borborygme assez écœurant, qui avait laissé voir ses dents d'une propreté quasi inexistante. Bon, je me devais de répondre.

Ouais, bon, j'y allais un peu fort là. mais j'avais confiance en moi, et puis j'avais le super archer derrière moi, donc tout baignait, non?

Les mauvaises compagnies, à Midgard comme partout, étaient monnaie courante. Manque de chance rare, à chaque fois que lui et son camarade adepte du vidage de poche étaient côte à côte, un phénomène d'aimant semblait leur coller à la peau comme une odeur persistante, qui attirerait tous les rebuts de la société et autres créatures cannibales. Se lier d'amitié avec à peu près tout et n'importe quoi n'était pas bien complexe pour Arsiesys, mais certains cas étaient désespérés depuis bien longtemps. Or, les personnages attirés par ce magnétisme à indésirables faisaient partie de cette dernière catégorie. Qui plus est, les deux forbans qui leur faisaient face avaient quelque chose d'autre en commun avec les vieumaurs que leur hostilité : la pestilence étourdissante qui se dégageait de leurs corps, savant mélange de pourri et de sueur rance de plusieurs jours, avec une touche d'alcool ingurgité à s'en faire péter la panse. Charmant.

Et leur hygiène corporelle n'était pas la seule qui laissait à désirer. Leurs habits rapiécés étaient également couverts de taches de couleurs et étendues diverses, qui, bien qu'hautement artistiques, n'en dégageaient pas moins des fumets de mets multiples depuis longtemps abandonnés au fin fond d'une poubelle. Un pot-pourri que l'archer baptiserait élégamment « senteur de décharge publique » si l'occasion lui en était donnée. Persuadé, par sensation de déjà vu, que les présences qu'il avait captées avant même de se retourner risquaient de leur attirer des ennuis comme lors de leur précédent voyage en commun, armer son arc avait été un réflexe automatique pour se préparer à célébrer leur troisième rixe en coopération. Impossible d'y couper, avec la demi-douzaine de substances illicites au minimum qui circulaient dans les corps souillés des écumeurs grognons.

D'un bond en avant qui fit virevolter le tissu de sa bure, l'historien jeta son manteau d'hiver dans les airs pour attirer l'attention de ces nouveaux compagnons qui n'allaient pas tarder à comprendre qu'ils n'avaient pas à faire à n'importe qui. Pas besoin de s'encombrer d'une tenue épaisse, cela risquait de plus le gêner dans ses mouvements qu'autre chose, et l'action saurait lui tenir chaud comme il se doit pendant les festivités. Un petit spectacle public ne pouvait que réjouir les passants, et plusieurs s'étaient déjà arrêtés, intrigués par cette agitation peu coutumière. La tactique de diversion éculée mais toujours fonctionnelle se montrant aussi positive que d'ordinaire, Arsiesys ne laissa paraitre qu'un court instant la tête de son carreau artificiel pour l'envoyer saluer le plus petit des deux lascars, suivi de deux de ses pairs tout aussi impatient de faire sa connaissance. Les bras handicapés et les côtes labourées, le pirate reprit conscience de la réalité du combat et voulut se jeter sur lui pour lui revaloir ce coup en traître.

Sa rapidité altérée par la douleur lui coûta la vie, un quatrième sifflement étant le seul signe annonciateur d'une frappe en plein front. Un, zéro. Balle au centre. Son dernier geste fut de s'écraser pitoyablement au sol, dans une série d'effluves d'huile de vidange. Après s'être décalé de côté pour n'être en rien gêné par la chute du cadavre adverse, son carquois imaginaire lui confia une nouvelle bribe de son contenu pour qu'il la jette en direction de la panse rebondie du survivant en biais, pour l'érafler profondément. Un nouveau grondement bestial accompagna cette implication du personnage qui, aussi hautain qu'à l'origine, espérait visiblement ne pas avoir à se salir les mains et que son valet de pieds ferait tout le travail. Mauvais calcul...

C'est bien, les deux gogos avaient répondus à ma provocation comme je l'attendais. Ils s'étaient lancés à corps perdus dans la bataille, à grand renfort de cris de guerre, l'un donné d'une voix de stentor, l'autre d'une voix plus fluette et éraillée, tout à fait horrible pour les oreilles. Pour le coup, j'en aurais presque été KO. Mais pour le compte, je me lançais moi aussi à l'assaut, constatant que le Capitaine avait sortit de derrière son dos un énorme mousquet, qu'il s'empressait de tendre vers moi, l'air vengeur. Ouais, je les avais un peu chauffé, à vrai dire. Au moins ne se focalisaient ils pas sur mon camarade, qui s'empressa d'user de ses atouts magiques pour canarder le premier des deux terreurs, clouant proprement le petit sur place. Dans un effet de style digne des plus grandes sagas, son attaque et mon avancée s'étaient combinées, me faisant zigzaguer entre les tirs avec timing et classe. Mon dieu, si j'avais eu le temps, je nous aurais applaudi. Lorsque le Capitaine Tranchard sembla trouver le chemin de sa gâchette, je dus me jeter de côté, laissant à l'emplacement où je me trouvait initialement une marque fumante dans le sol gelé. Un autre tir vint me siffler aux oreilles, il visait bien et juste, malgré son taux d'alcoolémie fortement au dessus de la moyenne nationale - et c'est pourtant une sacrée moyenne. Il fallait agir.

Passant derrière une charrette, postée non loin de mon ennemi, j'attendis qu'il me canarde encore, le laissant recharger. Lorsque ce fut fait, explosant les cerclages en bois de l'engin au passage, je me précipitais à sa rencontre, l'arme au clair, la lançant de toutes mes forces dans sa direction. Ce fils de Valkyrie esquiva avec une rapidité que démentait sa corpulence, et enchaina derechef avec un tir précis qui vint me faucher à l'épaule, causant une cuisante douleur, et m'obligeant à me remettre à couvert, derrière une caisse de chargement. Super, encore une fois, je prenais les parpaings pendant que mon archer visait tranquillement et parvenait à toucher ce Gros Bill à la panse, le faisant gueuler comme un cochon pour le compte. Il me restait quelques solutions pour le compte. Soit j'attendais patiemment que mon camarade finisse de cuire cette dinde, ce qui me parut un mauvais plan, vu qu'une décharge vint emporter un tiers de ma caisse protectrice, me recroquevillant sur le peu d'espace encore disponible, soit je récupérait ma joli dague et je finissais le travail sur son bide. Vu la distance, je pouvais profiter de ma rapidité pour venir le gêner avec son gros joujou, qu'il ne pourrait manier au contact. Restait à y aller, et là, je vous jure, c'était le plus gros effort à fournir. Jetant un regard sur le cadavre du petit mousse, rendu encore fumant par les projectiles de mon compagnon, et avec une tête comme une pastèque, je me souvins que la vie était vaine, et que j'avais les cartes en main pour lui mettre une bonne branlée. Quitte ou double donc.

Prendre l'initiative de rechercher quelqu'un, c'était bien beau, mais encore fallait-il savoir où fouiller. Et cela, Veith n'en avait strictement aucune idée. Ce Stilgard semblait être quelqu'un d'insaisissable... De plus, la description qu'il avait de lui était très sommaire. Résultat: il se retrouvait à fouiller vainement, en quête d'une chimère, pour ainsi dire.

Finalement, il était reparti vers le port. Ce type d'endroit était, en général, plein de vieux loups de mer au courant de bien des choses, et faisait également office d'abri pour bon nombre d'activités plus ou moins légales. Stilgard étant tout bonnement un voleur, d'après les dires d'Arsiesys, il pourrait peut-être espérer avoir une chance de le débusquer ici. Il ne faisait que parcourir les lieux de long en large... Pourtant, sans même aborder les gens - il ne savait pas trop pourquoi -, il avait le fol espoir de trouver celui qu'il cherchait en le repérant directement. Les chances étaient pourtant très faibles, si bien qu'il n'allait pas tarder à abandonner, tout transi qu'il était à cause de ce climat dont il n'avait pas encore l'habitude.

Soudain, il repéra ce qui paraissait être une rixe. Un homme seul se dressait face à un duo, son allié déjà mis hors de combat. Et dans le camp opposé, quelle ne fut pas la surpris de Veith lorsqu'il aperçut une épaisse crinière bleue qu'il connaissait déjà fort bien, ainsi que l'arc caractéristique de son compère... L'autre, lui, dague à la main, s'apprêtait à repartir au contact. Physique athlétique, cheveux d'une étrange teinte blanche ne collant pas du tout avec son âge... Oui, il semblait bien qu'Arsiesys était parvenu à retrouver Stilgard avant lui, bien qu'une confirmation s'avère tout de même nécessaire. Ni une, ni deux: levant sa paume ouverte vers les cieux, le Zéphyr en fit jaillir une puissante gerbe de flammes, de manière à être remarqué. Sa position le rendait plus apte à discerner les détails du combat, et il hurla des indications à Arsiesys et son allié.

L'ambiance tournait au vinaigre, et pas seulement par l'odeur âcre des flibustiers en mal de violence. À y réfléchir, quand bien même le corps du déjà défunt serait laissé à l'abandon en attente de sa décomposition, il ne s'en retrouverait pas plus malodorant, ou de bien peu de chose. Loin de ces songes aussi dérisoires qu'ils étaient malheureusement pertinents, Arsiesys se dit tout de même que les cribler de flèches serait une remontrance plus démonstrative que de critiquer vertement leurs comportements. Certes, la liberté d'expression est gravée dans la loi de chacun, mais quand on empiète sur le jardin du voisin, mieux vaut être prêt à sentir une bêche vous traverser la botte et raboter votre pied de quelques centimètres, par le retrait rapide et discret de cinq petites protubérantes remuantes. Faute de pouvoir reproduire ce sympathique tableau banlieusard, les deux amis se contenteraient de donner une leçon de morale à leurs chers invités pour cette valse d'une minute à l'aide de leurs armes respectives. Et d'après la repentance dont faisait montre le premier en se prosternant de tout son long sur le bois boursouflé d'humidité du quai, la méthode n'était pas la plus inefficace qu'on ait jamais vue, loin s'en faut.

Rien n'empêche de retrouver le droit chemin en s'y faisant botter l'arrière-train, au fond, et l'éthylique mastodonte contre lequel ils présentaient un front commun, et uni pour couronner le tout, en faisait les frais plutôt deux fois qu'une. Cet accueil chaleureux au retour de Stilgard était d'une camaraderie qui faisait plaisir à voir, mais leur camp improvisé était attendu à une petite réception en l'honneur des retrouvailles tant attendues, et ils ne pouvaient se permettre de faire attendre les deux autres convives plus longtemps. En guise d'excuse, les célébrations allaient être du plus bel effet, et le bout de gras qui se dandinait sous leurs yeux ébahis de voir une telle masse graisseuse se mouvoir d'une pareille aisance serait aux premières loges. Assister au spectacle serait pour lui un vrai plaisir... Ca remplacerait le repas du condamné, si on veut. Si son estomac à l'inquiétante envergure n'était pas rempli jusqu'à rabord, au moins ses yeux et sa candeur, s'il en restait à l'agonie sous les cohortes de bourrelets, auraient de quoi s'émerveiller. Ses papilles gustatives se débrouilleraient pour trouver de quoi régler sa faim après le show. Parlant de celui-ci, quelqu'un dont le nom s'est perdu à travers les époques a dit un jour qu'il devait toujours continuer, alors... C'est parti.

Et, cerise sur la pièce montée à trois étages inondée de chantilly au glacage royalement succulent, Veith, sorti de nulle part mais tombant à point nommé pour jouer les spectateurs, fit don de ses connaissances stratégiques inconditionnellement. Il acquiesça pour confirmer au chasseur de primes que ses instructions étaient bien reçues, et prêtes à être appliquées à la lettre. Pris de court par le rapprochement du brigand qui avait fait sienne une célérité encore plus grande que dans les souvenirs de l'archer, un grondement étouffé alla de pair avec le rangement du fusil du blob humanoïde, qui tira dans l'instant qui suivit une lame qui devrait mieux l'aider à s'en tirer. Grossière erreur... Qui fut pointée du doigt, ou plutôt de la pointe, par une nouvelle flèche qui explosa pile à son nombril dans une secousse ensorcelée du plus bel effet, des rais de lumière bleuâtre suintant de tous côtés sous sa peau. Son interprétation du moment, dans le pois chiche qui remplaçait la cervelle de tout humain normalement constitué, devait être l'incrustation d'un parasite quelconque sous son épiderme qui se promènerait partout en lui à la fois. Une vision adorable, n'est-ce pas ? De plus, conformément aux directives, ces éclairs se concentraient sur les articulations pour en faire un pantin docile, et ce pour tout ce que perdurerait la substance magique que comportait le trait.

Pour sa défense, le terme « normalement constitué » n'a pas sa place à son sujet... Quand on pèse suffisamment lourd pour faire ployer sensiblement un plancher sous son seul poids, c'est une preuve incontestable. Le voleur fila comme un dard jusqu'à ce monument charnu et parvint à se priver de nouveaux pansements à venir grâce à des mouvements incroyablement habiles. Oui, il était sorti grandi de leur escarmouche avec ces chers cadavres dans les tréfonds des Terres Brûlées, se le cacher n'était plus possible. Encouragé par cette agréable découverte, le jeune homme aux cheveux bleus prit sa précision la plus affutée pour être sûr de ne manquer en aucun cas le destinataire de sa munition. Affiner à l'extrême prenait du temps, mais l'homme à la toison blanche retenait sans mal le bibendum, qui le manqua de peu grâce à une passe des plus souples. Pendant qu'Arsiesys se préparait, le pillard n'avait donc qu'à couper sa part du gâteau, sans que personne ne soit là pour lui dire de se priver dans la découpe. La tête de cochon de ce personnage haut en couleurs - et en odeurs - avait beau arborer une ressemblance troublante avec le Borick exterminé quelques jours auparavant par l'historien, venir à bout de son propriétaire qui lui était tendu sur un plateau d'argent aux finitions d'or ne fut qu'une question de microseconde.

Et tout était fini. Un soulagement, aussi subtil qu'il soit, n'était pas à attendre. Quand on se sortait en un seul morceau d'un tombeau rempli à craquer de morts-vivants en mal de chair fraiche sans avoir à leur balancer son compagnon de route pour casser la croûte le temps de filer à l'anglaise, les nouvelles épreuves pouvaient être prise à la rigolade sans qu'on se voie jeter de pierre... Lumineux, il fit disparaître son arc dans les méandres de la mana que renfermait son corps, en stase. Le manteau à la main, l'autre fit signe à son allié d'approcher pour distinguer leur ange gardien, d'un grand secours pour abréger. Et avec une pointe de taquinerie dans la voix, il lança, une fois tourné en direction de son ami toujours armé d'une boule de feu :

De mon poste d'observation qui n'avait en rien à rougir par rapport aux tours de guet les plus proches d'une armée en campagne, lors d'un siège, je pouvais aisément voir mon ami le gros blob tenter de trouver un angle de tir acceptable pour finir le travail qu'il avait entreprit sur ma personne, à savoir me transformer définitivement en passoire humaine. Lorsqu'il constata que ses efforts étaient vains, et qu'il allait devoir venir me débusquer lui-même dans son trou à rat, il envisagea la terrible tâche de se séparer de son joujou pétaradant, pour venir me titiller le dos de la pointe de son sabre. Autant pour moi, c'était l'occasion rêvée. Je n'avais plus qu'à me je ter sur lui, et...

C'était qui ce mec? Il s'était pointé dans la brume, marquant son apparition d'un petit brasero maison, histoire de faire dans le spectaculaire. Bah, l'effet marchait bien sur le capitaine Grosouillon, lui décrochant la mâchoire pour le compte, et permettant à l'archer au cactus bleu de lui placer un petit projectile dans sa panse rebondie, créant sur tout son corps empâté une multitude de décharges électriques. C'était à moi d'entrer en jeu. Sortant de ma cachette comme une flèche, je parcourait le dernier mètre me séparant de ma cible, qui tenta de me trancher en deux avec son sabre. Ni une, ni deux, je passais sous sa garde, comme une guêpe que l'on tente de repousser, et qui finit tant bien que mal à vous piquer. Tendant le bras derrière mon ennemi, en une danse enlacée qui me donna la nausée, je saisissais ma dague qui m'attendait sagement dans le bois d'une caisse, avant de faire un pas de côté, laissant passer la masse écrasante de mon ennemi sur l'endroit où je me trouvait il y a peu. Dans ce ballet macabre, où je menais la danse, l'apothéose de la pièce qui se jouait devant les autres protagonistes se trouva dans le moment où, tout en profitant d'un coup de mon ennemi qui voulait une fois de plus faire de moi la cible de sa colère, je profitais de son coup de taille descendant pour remonter vers son menton, comme sur un fil, et placer ma Belle-de-nuit dans sa boite crânienne, l'empalant par la partie molle de la mâchoire, au niveau de la gorge. J'avais ainsi au bout de ma lame un magnifique présent à faire à mon équipier, et je ne me privais pas de le lui dire.

Celui-ci ne se fit pas prier, étant donné qu'il avait déjà préparé sa missive létale, qui vint effectivement carboniser la tête du gros balourd, dans un imbroglio d'odeur de cochon grillé et de cheveux brûlé. Super, j'avais définitivement plus faim. Et j'avais le sentiment aussi définitif que, mon pays, c'était très peu pour moi. Sortant ma dague de ce trognon rassis, et constatant qu'elle miroitait comme si on l'avait faite dans la journée, je la rangeait avec satisfaction dans la poche prévue à cet effet, et je rejoignait les deux hommes encore debout, non sans avoir au préalable prélevé mon butin mortuaire, l'habitude quoi. Aujourd'hui, ce serait une balle de fusil qui viendrait prendre place dans ma bourse.

Le travail d'équipe était sans conteste en mesure de trouver son parangon à ce tour de force mené de main de maître par leur association. C'était tout juste si l'autre camp avait réussi à leur infliger quoi que ce soit, et la blessure de son partenaire était loin d'une gravité irrécupérable. De bons soins y seraient appliqués, et on y verrait plus rien. S'occuper de challengers consécutifs ne serait pas un problème si la volonté suivait. Postés tranquillement face au troisième compère, les présentations commencèrent d'une bien étrange manière. Sourcils haussés à la réponse de Stilgard, l'archer ne put s'empêcher de glousser discrètement après. Si l'expérience avait fait croître ses facultés, sa personnalité restait inchangée. Ses manières non plus, que ce soit en terme de dialogue ou encore de ses vilaines manies, qui s'étaient une fois de plus donné libre cours en soulageant les défunts des poids emplissant leurs poches.

Arsiesys fit mine de n'avoir rien vu pour ne pas revenir sur la question, accoutumé bon gré mal gré à le voir se livrer à une telle tradition, aussi discutable que soit ce réflexe que la morale réprouve. Chacun ses petits tics, on ne pouvait reprocher de céder à un trouble obsessionnel compulsif. C'était gravé en lui comme une inscription sur une bague de mariage, ou une épitaphe sur une dalle funéraire. Indélébile. C'était, certes, autrement plus outrageant que quelques mots rédigés, mais l'idée était là. Rassemblement de personnage hauts en couleurs tous plus originaux les uns que les autres, Divum Legi était appelé à être porté aux nues par ces fortes personnalités, qui faisaient bien tout son charisme. De grandes choses de la part de cette congrégation était à prévoir... Si toutefois d'autres ennuis du même genre ne tombaient pas intempestivement sur ses principaux membres constamment.

Encore que si les issues étaient toujours aussi magnanimes, rien n'était à craindre du futur et de ce qui le jalonne, mais même les plus belles cuillères en argent coincées entre les lèvres d'un nouveau-né finissent par connaître des avaries un jour ou l'autre. Et si l'historien était doté d'un stock de ces fameux couverts porte-bonheur, toutes les réserves finissent par être dilapidées un jour, aussi inépuisables qu'on les voie à force de constamment devoir garder un œil dessus. Cependant, une loi, dite de Murphy, signifie que les contrariétés apparaissent toujours à la chaîne, comme sorties en séries d'un chapeau par le grand barbu là-haut. Ce n'était qu'une rumeur, néanmoins, pour les appâts perpétuels de ces fameux ennuis, attirés par ces malheureux tels des mouches par le miel, c'était une réalité. Ainsi, toute leur substance pouvait pleuvoir sur les individus ciblés et les tremper jusqu'au cou dans des mésaventures mirobolantes.

Enlisé dans ce théorème depuis que son pied avait tâté ses terres natales pour la seconde fois de sa vie, rejouant le retour du fils prodigue, il était bien placer pour débiter des suppositions abracadabrantes sur ce thème. Et cette espèce de malédiction de la malchance qui lui tournait autour identiquement à une furie de soupirante n'était pas décidée à lâcher prise de ses ongles griffus, sorcière fermement accrochée à son idéal masculin exposé à ses dérives sentimentales sans le désirer le moins du monde. Autrement dit, ce n'était sans doute pas la dernière fois de la journée qu'agirait l'écrit invisible de cible vivante porté sur son front. Le sol rendu précaire et branlant à la fois par la masse pondérale hors normes du ventripotent à qui leur unisson avait ôté la vie et par sa chute finale crissa violemment, pour faire converger leurs attentions sur ce vacarme. Allons bon, le tourbillon de la vie continue à tourner et à les entrainer dans sa course... Une fois de plus.

Bon, pas le temps de palabrer sur les questions de fond, que le barouf qu'on avait foutu, mon acolyte et moi, nous rattrapaient à grand renfort de types poilus et barbus. Oui, j'ose le dire, la barbe est signe d'une intelligence défaillante dans ce pays qu'est l'archipel Midgard, et on avait devant nous deux spécimens à la pilosité rappelant ces deux bardes zéphyrs là, les ZZ Top - comprenez par là Zéphrys, Zéphyrs, c'est le top! Très narcissique en tout cas. Bref, non content de venir m'importuner, ces deux types venaient rajouter à l'agacement qui commençait à poindre le bout de son nez, et qui me gagnait lentement mais sûrement. Marre des gêneurs.

Marrant ça, on peut pas faire la conversation tranquille, sans que des têtes de pioches s'efforcent de nous couper. Et en l'occurrence, le type avait sûrement mal pris ma réflexion, puisqu'il avait déjà sortit sa hache, beuglant comme un sourd. Si on finissait pas avec la milice sur les bras avant la fin de la journée, je pourrais dire que ma patte de lapin avait bien fonctionné. De toute les manières, avec mon épaule éraflée qui, bien qu'elle ait reçu une balle de plein fouet, n'avait eu que les chairs de meurtries, je n'allais pas prétendre à faire de la belle joute, et pas longtemps surtout. Je me tournais de nouveau vers nos gêneurs.

Ouais, j'en avait marre, ça y était j'avais les boules. Mais pourquoi j'étais venu ici moi? Casey, j'espère que tes raisons en valaient la peine, parce que niveau vacances, j'avais connu mieux.

L'archer de mana observa d'un œil suspicieux les nouveaux venus, tout en laissant à son ami de se défouler et leur répondre d'un même élan. Si ces mots n'étaient pas des mieux choisis pour une composition nouée de tact et de diplomatie, l'essentiel se retrouvait dans ses paroles si inspirées, que visiblement quelques péripéties semblaient motiver. D'où le flot de dires assez rare de sa part, quantitativement parlant. Avec cette politesse, limiter son verbe n'avait plus rien de surprenant, et se comprenait parfaitement en ce que ce n'était que de la retenue de cette connaissance argotique sporadique qui épiçait son discours. Trop relevé en fin de compte d'ailleurs, d'après la mine renfrognée des pirates. Arsiesys, dans son coin, dut faire des efforts pour contenir une sensible affirmation de son expression enjouée. Si négocier n'était pas le fort de son camarade, au moins, il avait le mérite de posséder un vocabulaire aux larges frontières pour ce qui est des diatribes et autres menaces. Après avoir envenimé une tension déjà intense, éviter une nouvelle guerre rangée était, à première vue, inenvisageable. C'est pourquoi l'historien décida de mettre son grain de sel dans ce sympathique échange d'une frappante convivialité. En douceur, sa paume se posa sur l'épaule familière pour une première percée au sein de la conversation.

Convaincu de son petit effet après cette tirade plus piquante qu'un champ de cactus, son sprint fusa en ligne droite, Artemis à la main. La mana qui ceignait sa silhouette en une pellicule compacte avait gagné en densité depuis ses dernières apparitions, plus forte et aveuglante que jamais. Dans ce semblant de flots océaniques centrés sur sa petite personne, une première flèche partit à toute vitesse, sans avoir le désir de mettre dans le mille comme on aurait pu le croire. Ce n'était qu'un sacrifice destiné à mesurer leurs aptitudes, et ce test se montrait concluant. S'ils étaient moins costauds que leurs amis abattus, les prendre à la légère pourrait coûter cher, et pas que par un vol de leurs possessions pécuniaires. Prudent, comme toujours, le mage itinérant opta pour un passage à la vitesse supérieure des plus prompts, pour renverser l'équilibre. Dominer ces convives ne pouvait qu'être bon pour leurs intérêts, et le sauvetage de leurs postérieurs devant ce premier maillon d'une longue, longue chaîne qui s'ébauchait entre les ombres d'une déveine colossale. Ce n'était qu'un échange équivalent avec celle qui lui était procurée le reste du temps, à n'en pas douter, pour ne pas attiser les jalousies. Chaque chose a des qualités et des défauts, et ce n'était que le point culminant de ces derniers. Rien que ça. Bercé par le courant idyllique de ce second sang envoûté, ses paroles prenaient un accent hypnotisant. Son propre corps se mit à ruisseler d'une onde analogue à une pluie vif argent qui détremperait son être des pieds à la tête.

Ce fut comme si un dôme d'obscurité s'était posé sur les environs, qui se retrouvaient pris au piège sous une cloche indistincte. Toutes les sources de luminosité à proximité tombèrent dans un effacement soudain simultanément, et les lueurs qui en transpiraient se dirigèrent d'une frénésie empressée jusqu'à l'arc du voyageur. Un faible tourbillon les assembla avant d'en construire une paire de charges prêtes à traverser les airs. Autorisation leur fut donnée, et un galop vertigineux les écrasa avec virulence contre le second larron. Si la première percuta sa hache, cette chance insolente ne se reproduisit pas pour la seconde, qui fit mouche au sternum avant que le flamboiement pur ne se diffuse dans chaque veine et artère. Il ne se rendit compte que trop tard d'un sentiment d'épuisement qui s'ajoutait à sa plaie neuve, les batteries vidées par une force indicible. L'environnement redevint celui qu'il avait toujours été. Seulement, jouer avec les éléments avait son prix, de même que toute chose. Et ce prix était son déchaînement. Une tempête de neige se déclencha tout à coup en repoussant les passants, résumée au périmètre de ce combat par équipes. Le duo avait beau être rôdé à la cohésion, sans y voir à plus d'un mètre, accorder leurs violons demandait une solution de rechange. Réduit à avancer pour retrouver son camarade dans cette tourmente perturbatrice, le bras pour seul bouclier à cette agression frigide, Arsiesys eut dans l'idée que continuer à se taper dessus dans ces conditions était impensable. L'occurence en décida autrement, puisqu'alors qu'il allait remettre la main sur son équipier, un choc secoua le bras qui tenait l'arc. Pile-poil à la suite, en second accord de ce début de mélodie de la maladresse, un tintement caractéristique de la dague de son allié résonna. Heureusement que son arme était d'un matériau inhabituel, sans quoi la retrouver pliée aurait été inévitable.

Néanmoins, les autres molosses s'étaient rendus coupables d'un crime : celui d'incarner la bêtise humaine en leur fonçant dessus dans toute la splendeur de leur idiotie, pour subir une rencontre avec leur équipement qui ne serait pas sans incidence. Les bourrasques contraires que remuait l'aura de l'archer dégageait assez de souffle pour les mettre à l'abri des intempéries et leur rendre la vue un minimum. Avantage clair et net sur le tandem lobotomisé, qui avançait à l'aveugle dans ce qu'on aurait pu prendre pour un extrait comique. S'ils continuaient sur cette lancée, ils allaient bel et bien venger leurs copains en tuant leurs bourreaux... De rire. Perplexe mais amusé devant cette complète débandade, il ne s'aperçut que trop tard qu'un tir était parti à son insu lors du heurt, et avait été se planter dans la fesse gauche de sa cible réservée. Concours de circonstances tout aussi hilarant. Et Stilgard n'était pas en reste, puisqu'il esquiva une première agression en se courbant pour ramasser quelque chose tombé à ses pieds d'après sa gestuelle, avant d'intercepter une nouvelle gaucherie déraisonnable des bouffons d'en face. Une extrémité de manche en bois rentra brutalement dans les côtes de l'écrivain, qui, par réflexe, fit un pas de côté en se massant l'hématome qui allait apparaître sous peu. Un hurlement de douleur confirma immédiatement que ce toucher malencontreux était vengé sans qu'il en ait exprimé l'ordre. À l'écoute, des bruits de contact de corps comme de métaux arrivèrent jusqu'à lui dans un désordre catastrophique. Bras croisé, prêt à s'y remettre si jamais un des gaillards passait à sa portée, son seul geste fut de repousser ses plus longues mèches pour découvrir son oreille, et instiller un mouvement de balancier à la pierre précieuse de sa boucle d'oreille tout juste sortie de son étui. Ce n'est pas souvent qu'on peut voir une bataille sous cette facette humoristique, et il ne comptait pas en rater une miette.

Ouais, starting blocks, on casse des échines, on troue de la peau, et puis on va se boire une bière. Aller, j'allais la jouer couleur locale. J'en avais fichtrement marre de ce pays de boucs, alors je ne cherchais plus à le faire dans la dentelle. Un brin suicidaire? Nan, même en homme tronc, j'aurais pu leur faire bouffer leurs parties génitales. Et puis, j'avais mon archer préféré avec moi, donc bon...en plus il rentrait dans mon jeu, titillant les deux abrutis pour les forcer à en finir vite. Cependant, il fit une chose qui me mis assez fort dans la mouise. Ben oui, c'était quoi ce sort??? Pendant un moment, lorsque la cloche d'obscurité vint s'abattre sur moi, je me retrouvais complètement désorienté, comme si l'on avait rabattu un sac à patates sur ma tête. J'avançais donc bille en tête, mon arme tendu vers moi en guise de présentation, et surtout l'oreille tendue. Je rencontrais une résistance, qui se révéla suite au cri de douleur que l'un des types poussa lorsque mon arme vint se planter par inadvertance dans sa cuisse, puis la scène s'éclaira quelque peu, m'éblouissant, lorsque le deuxième compère se retrouva parsemé de lucioles bien bizarre. Puis ce fut le chaos, avec l'arrivée d'une tempête de neige. Vous ne croyez pas un traitre mot de ce que je suis en train de raconter, hein? Ouais, je suis certes menteur, épicurien, peut être même un rien trop fier, mais cette histoire relève de la stricte réalité, aussi burlesque qu'elle puisse être. Donc j'en étais où, déjà? Ah oui, la tempête. Hop, bourrasque, qui me fit valdinguer cul par dessus tête, lâchant mon arme au passage. Lorsque je me rétablissais, je fus bien en peine de trouver ma Sombredague, que je ne trouvais qu'après une recherche minutieuse. Apparemment, les types n'étaient pas loin autour de moi, puisque j'entendais à maintes reprises les haches siffler à mes oreilles. Ce fut d'ailleurs lorsque je me baissais pour ramasser mon bien le plus précieux que j'entendis force de sifflement au dessus de mon scalp. J'allais peut être adresser un sacrifice de fruits et légumes aux dieux, après tout. Je la tenais enfin en main.

Trouvant chaussure à mon pied, ou plutôt cuisseau à mon poignard, je lançais une vive attaque perfide sur celle-ci, lestant le pauvre type qui avait déjà eu à subir les assauts de ma Belle de Nuit d'une nouvelle estafilade. Bon, il eut pas l'air d'apprécier encore, puisqu'il me répondit de son manche, m'explosant l'arcade sourcilière pour le compte. Merde, je voyais rouge, littéralement. Je ne gardais qu'un oeil ouvert pour frapper à demi à l'aveuglette, tentant un coup de taille qui vint creuser les abdominos ma foi bien for bien faits, les agrémentant d'une rigole qui ne tarda pas à se remplir de liquide carmin. Le type me répondit d'un grand coup de sa guillotine, m'entaillant aussi le buste et pourrissant ma chemise de soie. Bordel, j'allais la jouer crise de nerf là. Filez moi une armée, que j'anéantisse ce patelin de ploucs mal dégrossis! J'allais en finir maintenant, je n'avais envie que d'un bain chaud et d'une gonzesse pour passer ma frustration. Non pas que j'allais lui faire mal, hein, c'est pas le genre de la maison, mais j'avais de l'énergie à revendre, avec tous ces pécores. Heureusement que je n'avais pas mangé de viande rouge durant le trajet en rafiot, sinon je crois que j'aurais fini par bouffer quelqu'un, avec toute cette adrénaline et cette testostérone. A quand le repos?

De mal en pire. Une autre loi physique doit faire en sorte qu'en plus d'être une balise pour tous les individus dotés de malveillance, il ne s'agisse que de gougnafiers à tous les coups, et qu'en plus une dégénérescence fasse que chaque vague est plus décérébrée que celle qui est passée avant. Ce sympathique bordel en pleine éclosion sous les yeux bleuâtres de l'historien ne pouvaient que l'y faire penser, alors que son compagnon, plus spécialisé dans le contact, était forcé de se dépêtrer de leur imbécillité maladive. Devoir prendre ses distances pour être d'une efficacité optimale en combat avait du bon, tant pour ça que pour le peu de chance qu'on avait d'être touché. Sauf si ces péquenots étaient nantis d'arme à feu, auquel cas c'était la fin de tout, même s'ils étaient bien fichus de s'achever en se tirant dans le pied plutôt que de toucher une cible. Et encore, si ça devait arriver, ce serait une balle perdue à n'en pas douter.

Au moins, occupés à s'agiter de façon très proche des poulets qu'on s'apprête à plumer pour les passer à la casserole, le tandem désorganisé ne sut rien de son recul, qui passa inaperçu grâce à la légèreté de ses pas, tue par le souffle soutenu du tourbillon de givre les encerclant. Dès le moment ou l'archer de mana leur avait échappé, ce combat était dans la poche pour les ressortissants du futur Divum Legi. Arsiesys n'avait plus qu'à embrasser une carrière de sniper et c'était joué d'avance. Pressé de pouvoir sortir de ces bourrasques agressives qui cinglaient son visage sans retenue pour inspirer l'oxygène avec plus de douceur, et ne pas se transformer progressivement en bonhomme de neige, le natif d'Arkady ne se fit pas prier pour changer d'adversaire et loger un tir entre les deux yeux de l'opposant de Stilgard. Et de un. Son camarade au goût prononcé pour le vol et ses déclinaisons tint sans mal l'homme restant assez loin que pour remettre ça, manquant de le blesser de justesse.

En raison du halo autour de lui qui flanchait et ne préservait donc plus sa vue que modérément, distinguer tous les détails des gestes était réservé aux animaux habitués à chasser dans de telles conditions. Cela viendrait à force de vivre ici, mais là, la galère se faisait sentir. Bien entendu, après leurs péripéties communes, retrouver l'ombre de son ami sur les deux encore en lice ne serait pas difficile, mais les prouesses techniques échappaient à son jugement. Et lorsqu'une passe d'arme le mit dans sa ligne de mire, l'autre idiot du village se retrouva gratifié de la même fin que son compagnon. Vu la composition des projectiles, on ne pouvait même pas dire que cette joute leur avait mis du plomb dans le crâne à titre posthume... Dommage. De quelques pas mal assurés, le métisse réussit à se tirer du déchaînement neigeux tout en se massant les côtes, certain d'y trouver une ecchymose le lendemain. On avait vu pire, comme blessure de guerre. Aussi bien pour le chasseur de primes que pour son acolyte qui se trouvait sur ses talons à n'en pas douter, il lança :

Dans ce maelström neigeux, je crois bien que la seule chance de s'en sortir était de s'éloigner, et de canarder les deux zozos. Oui mais, au contact de ces deux abrutis, qui ne trouvaient rien de mieux à faire que de balancer leurs haches dans le vide, façon taillage de haie intempestif. Dans l'absolu, j'avais donc fort à faire pour ne pas finir en méchoui, et je devais user de mon habileté sans pareille pour naviguer entre ces eaux dangereuses. Au stade où on en était, dans ce bordel monstre qui tournait plus à la farce qu'à la rixe, c'était quand même coton. Cependant, Arsy équilibra un peu la donne, enlevant de cette équation cauchemardesque l'une des inconnues si casse bonbon, d'un bon trait dans le moule à idées. Bon, me restait le second, celui qui se trouvait...dans mon dos. Et cet empaffé m'avait trouvé au travers du blizzard.

D'un habile tour sur moi même, je tentais d'éviter la lame, qui dévia au dernier moment, m'obligeant à contrer de ma dague. Le coup fut rude, me remontant le long du bras, engourdissant jusqu'à l'épaule. Vache, ils étaient bêtes, mais ils cognaient fort! Fallait aussi dire pour me défense que j'étais pas le mieux taillé, question body building, bien que je sois pas mal dans mon genre. Mais place à l'action. Faisant remonter ma Belle de Nuit le long de sa lame, j'entrepris de partir lui arracher le bout de son nez. Mais malgré ma peine, le bougre d'idiot faisait preuve d'une remontée fantastique, évitant ma frappe avec une agilité qui me laissa coi. Je finissais donc mon geste d'un coup de pied sauté, les deux pieds joints pour plus d'effet, l'envoyant ainsi pile sur la trajectoire de la flèche lancée par mon si bon acolyte. Et voilà, c'était fini, jeu, set, et match. Tandis que je me dépêtrais pour sortir de la tempête qui se calmait un peu, j'entendis mon compagnon qui pestait contre cet afflux continu de tocard. Je riais, laissant libre cours à ma frustration par ce moyen, puis je m'essuyais les yeux, qui commençaient à souffrir des affres du froid.

Je parlais bien, hein? Ouais, j'y mettais les formes, mais j'étais comme ça moi, tout en controverse. Peut être que ce changement dans mon langage conjurerait le sort et nous permettrait d'avoir une conversation tranquille...