Au clair de la lune... |PV|

On aurait pu croire à un conte de fée. De vastes étendues veloutée de neige encore fraiche, que le pas de l'homme n'a pas souillé de son passage. D'épais flocons tombant dans un ensemble compact, obstruant la vision par un surnombre ahurissant, submergeant une croûte terrestre gelée de pied en cap. Le royaume des neiges éternelles ouvrait ses portes à l'innocence des regards rescapés de l'hécatombe de Morphée, alors que la fraîcheur du linceul arboré du sol se renouvelle, effaçant la vie par l'emplissage des creux délaissés dans l'albâtre lissé. Le froid règne en maître absolu. La lune est un oeil d'argent scrutant le monde depuis son trône olympien, dardant de sa pâleur sur un paysage qui n'en est que davantage mis en valeur. La beauté d'un fragile tableau où tout se fige, assoupi sous la froideur polaire de cette gouverne glacée. Les flots encrés, janissaires gardant la majesté de l'astre, ne faisaient que tapisser les cieux en répercussion à l'invasion perlée des contrées de Midgard, reflet négatif de cet environnement contaminé par un givre expansif. Le blizzard complétait l'interdiction de vigueur dans ce décor d'un hiver contracté jusqu'à ce que les temps prennent fin.

Porté par les insomnies sur la charpente de la demeure, la cheminée recevait son dos pour présent alors que sa tignasse myosotis cascadait sous le couvert de sa capuche, protectrice de bonne augure d'après l'acharnement des vents à se faufiler entre les branchages adjacents dans un sifflement douloureux à l'ouïe. Admiratif, c'est le sourire aux lèvres que le jeune homme, loin de succomber aux vertus endormantes d'une fatigue quelconque, se positionna aussi confortablement que faire se peut, carnet de notes de qualité moyenne entre les mains. La poésie ne pouvait qu'être exaltée par des inspirations du poids de cette fabuleuse fresque. Alors que les pleins et déliés de son écriture transparaissaient déjà sur quelques lignes, le craquement sourd plus que distinct de l'une des bûches mises de côté pour nourrir les flammes du foyer en journée se fit entendre. Brisé dans l'élan de sa rédaction si bien partie, c'est en pestant qu'il posa son matériel à ses côtés, coincé dans un léger renfoncement afin de ne pas se voir infliger la perte de cet appréciable début. Le haut du visage dépassant péniblement des étoffes endossées pour venir prendre place sous le champ stellaire, il affuta sa vision et en balaya le proche périmètre, tout en se racontant mentalement que ce ne devait être qu'un mammifère inoffensif en quête d'une terre d'accueil plus clémente ou de réserves comestibles. Son index buta imperceptiblement sur le pommeau caché de l'une de ses dagues cristallines. On ne sait jamais...

Première constatation : la personne – car c'en est une – ayant causé ce bruit ne s'approche pas de la chaumière, mais s'en éloigne. Seconde constatation : la plupart des bibelots et autres objets sont plus que clairement visibles grâce au renversement du grand sac en toile de jute laissé tombé par mégarde en butant contre un rondin plus épais que les autres – au grand dam de son gros orteil gauche. D'après ces repérages faits coup sur coup, Arsiesys n'eut plus qu'à compulser les accumulations de données faites intérieurement en potassant comme un damné les registres descriptifs des différentes tribus et espèces que l'on peut rencontrer en vivant dans ce contexte approprié aux Valkors pure souche. Se retrouver une fois dans le flou complet en affrontant des Singam-Vellai sans savoir de quoi il retournait était une leçon bien suffisante, et le renseignement était donc redevenu sa carte maîtresse. Ce n'était que plus bénéfique pour l'exercice de sa profession que d'engranger ces connaissances, aussi futiles et restreintes d'usage qu'elles puissent paraître.

C'était donc un Vinnlandhar qui se tenait à plusieurs mètres en contrebas, luttant contre la neige disséminée sous son poids lors de sa perte d'équilibre pour rassembler le fruit de son larcin et décamper sans demander son reste. C'était sans compter avec la veillée nocturne du métisse, qui, pour le coup, n'avait plus besoin que d'un uniforme de vigile pour se conformer au rôle. Alors que le détrousseur était encore face contre terre au mépris de toutes ses gesticulations, une flèche bien placée vint gratifier son oreille d'un joli trou. S'il souhaitait y passer une boucle, la formalité de la percée n'était plus à passer. Même si l'orifice était certainement trop béant et sanguinolent que pour servir à y accrocher quoi que ce soit. Surpris, le pillard poussa un cri mêlé de colère et de douleur. Pivotant sur lui-même, il dévoila le châssis d'une arbalète luxueuse, ouvragée de fond en comble. Sans doute le produit d'un autre vol dans le manoir de l'un ou l'autre noble nageant dans ses économies chaque matin. Son angle de vue ne l'ayant pas mis en garde contre le port de cette arme à une main difficilement localisable jusqu'alors, ce fut au tour de l'archer de se retrouver désemparé face à un carreau vengeur expédié droit en travers de son épaule.

Celle-ci fut traversée de part en part par le projectile d'une finesse exceptionnelle, plus proche de l'aiguille que de quoi que ce soit d'autre. De sa clavicule jaillirent quelques centilitres vermeils qui se répandirent sur les tuiles, coup de peinture partiel et involontaire pour une toiture délavée. Si l'heure n'était pas aux considérations futiles pour récupérer leurs biens un minimum coûteux, les autres dormant comme des loirs à l'intérieur malgré l'effraction commise, le mage ne put s'empêcher de songer que l'antre en question aurait bien besoin d'une rénovation. Et accessoirement, de quelque système de sécurité qui empêcherait le premier venu d'entrer comme dans un moulin à toute heure du jour ou de la nuit sans incidence. Lui ne serait pas toujours là pour défendre leur propriété au beau milieu du repos d'autrui, et il y avait de quoi douter fortement que ses camarades acceptent l'organisation de tours de gardes journaliers. Malgré sa blessure lancinante, quoique très réduite, il tenta d'apaiser ses terminaisons nerveuses par la mana circulant en lui.

Éviter de réveiller ses colocataires était sa première pensée; servir de bouc émissaire à tout ce joli petit monde pour tapage nocturne n'était pas une perspective des plus alléchantes. Alors que les chutes neigeuses se faisaient de plus en plus aveuglantes et que l'anarchiste regroupait son butin, l'idée lui vint de retourner le climat contre le bonhomme rondouillard frétillant sous ses yeux. Sa flèche, encochée depuis plusieurs longues secondes, vit sa bleuté s'éclaircir jusqu'à la rendre froide comme la glace arctique, son ancienne couleur n'étant plus qu'un reflet sur la surface décolorée pour se confondre avec l'élément additionné. D'après le manque de cohérence des gestes de l'homme trapu, affolé sous sa toque sans savoir que faire, être sûr de le toucher était encore de l'ordre de l'euphémisme. Tout ce qu'il lui restait à faire à présent était de pleurer son esquissee de texte désormais maculée du rouge de son fluide vital, versé d'un tir incalculé de la part de l'inopportun grassouillet.

C'est comme cela que le lendemain matin, au réveil, les autres habitants du logis purent trouver une statue de glace aux côtés de la demeure, et toutes les décorations de la cave au grenier déplacées par un rangement approximatif...