Le travail passe avant tout ! {PV}

Une bourrasque polaire comme tout accueil et Arsiesys venait de poser un pied sur une île pour le moment épargnée par les pluies. Chaleureuse ambiance, une entourloupe teintée de blanc et percée par des tâches brunes. Des arbres, n'est-ce pas ? Vu la tronche que ceux-ci tiraient, l'historien se permit un haussement de sourcil avant de fouler lentement les terres enneigées de l'archipel. S'approchant, lancinant, du premier tronc qui lui fit face, il y posa sa dextre appréciant le toucher quelque peu rupestre du geste. Au final… Au final, ils ressemblaient à tout autre arbre, des feuilles, des branches, des racines. En somme, rien d'extraordinaire. Peut-être était-ce le combat précédent qui altérait sa perception de grand homme. Caressant vers le bas l'écorce, il rompit rapidement le contact. Inutile de s'éterniser ici, il avait assez importuné cet être sylvestre, il fallait s'enfoncer plus en profondeur, toujours à la recherche de nouvelles connaissances érudites, ou pas. Cet archipel devait bien renfermer des secrets tapis sous des montagnes, et Arsiesys espérait franchement dégoter un de ces trésors maudit… Pourquoi ne pouvaient-ils pas paraître plus visibles, plus discernables ? Enfin… Cela devait sûrement être lié à la joie de la découverte, si découverte il y avait. Une joie immuable, emplie de fierté, de pugnacité et de suffisance. Il soupira face à ces pensées et laissa ses jambes continuer leur chemin.

À nouveau un éclat de vent, et cette fois-ci sa chevelure le ressentit considérablement. Quelques mèches océans vinrent obstruer perversement sa vision et l'historien les remit promptement à leur place d'un revers de main parfait. Des années d'expérience. Ses deux pieds l'emmenaient dans des endroits inexplorés pour lui, pour le moment beaucoup de neige… Encore de la neige… Et toujours cette fichue masse blanchâtre semblable aux nuages qui trônaient dans l'océan céleste. Plus il avançait, plus l'envie d'avoir un compagnon du Divum Legi se faisait pressante. Il aurait été franchement préférable d'être accompagné d'une langue en plus pour occuper cette excursion monotone. Pas là qu'il adorait discuter avec son ennui, néanmoins très causant, mais une paire d'yeux et d'oreilles aidaient toujours dans sa recherche éternelle. D'ailleurs, comme le destin et la chance faisaient bien les choses, un grognement retentit, sombre, violent, qui ne lui voulait pas du bien. Enfin un compagnon, humain ou pas, il pouvait déjà sentir une odeur agressive exsuder de sa présence spectrale, cachée par un arbre. Que pouvait-il espérer de mieux ?

Museau proéminent. Yeux injectés de sang. Gueule béante hérissée de dents plus effilées les unes que les autres. On ne peut s'y tromper, surtout lorsqu'on a déjà eu affaire par deux fois à cette espèce du bestiaire de Midgard et de sa proche banlieue. Jamais deux sans trois, même si certifier le fondement de ce proverbe fut une activité dont l'archer se serait bien passé. Croiser un Fenryl n'est jamais une expérience agréable, mais la répéter à deux reprises par la suite ne fait que parachever la gêne occasionnée. Ce n'étaient qu'autant de mâchoires à briser et de peaux à trouer, certes, mais cela ne rendait pas la circonstance plus appréciable. D'autant que si se retrouver aux prises avec les congénères de ce charmant visiteur à la mâchoire déjà ruisselante de bave à l'idée de se mettre sous la dent la plastique raffinée du promeneur insouciant. Ce que ne pouvait prévoir le lycan, c'était que l'historien faisait partie de ceux n'ayant pas à trancher entre emporter ou non une arme lors de chacun de ses déplacements.

Son seul instrument guerrier faisait partie de lui, coulait dans ses veines, élément intégré à la fluidité de sa mana et à la circulation interne la véhiculant activement en lui. Compacter et modeler cette énergie n'était que la routine, un phénomène aussi naturel que pouvait l'être la respiration. Un battement de cils, un claquement de doigt, une inspiration et l'arc est là, prêt au combat. Toute l'utilité d'avoir été formé à la magie et ses formes déclinées dès son plus jeune âge, et ce par un expert confirmé de cet art subtil et abstrait. Changement radical de plan de carrière donc, que de s'improviser dresseur pour assagir cette sale bête. La corde imaginaire de son cher Artemis devrait avoir de quoi servir de laisse à ce chien mal léché. À défaut, lui roussir le poil tel Veith avec son Singam-Vellai habituel serait une bonne option. Tout du moins, si le bestiaux n'était pas pris de la lubie de le poursuivre partout une fois la leçon donnée. Sa motivation à terrasser cette boule de poils affamée ne fit qu'aller croissante en repérant le papier parcheminé coincé entre deux de ses dents taillées en pointe à l'extrême. Quoi que ce soit, cet aspect antique ne pouvait que signifier que le récupérer était digne d'intérêt.

Esquissant un léger sourire, Arsiesys laissa exploser son pouvoir, une onde céleste s'éloignant de son corps en cercles concentriques. Alors que ses pupilles se délavaient comme à l'accoutumée, un premier ajustement du tir suffit à casser en deux la base de l'une des canines du molosse victime de malnutrition. Dans un hurlement à en perdre haleine, il abattit ses mâchoires amputées sur le sol, à l'emplacement où se situait Arsiesys auparavant. Mâchant non sans mal la masse terreuse recueillie par cette bouchée maladroite avant de la recracher de côté, le canin géant vit son flanc être criblé de minuscules aiguillons issus de la fragmentation d'un second trait. Aboyant à en vriller les tympans, la créature se mit à bondir, agitant pêle-mêle griffes et dentition afin de mettre à sa merci ce gêneur, et d'ainsi pouvoir se repaître de la quantité médiocre de chair à gober sur ce corps de faible musculature. Esquivant de justesse chaque nouveau geste débordant de sauvagerie, mais ne réussissant qu'à excéder davantage l'animal, le mage finit par être fauché d'un coup de patte le propulsant dans les airs sans plus attendre. Ayant porté les bras en croix le temps d'encaisser la force musculaire insufflée, il profita de sa position pour exécuter une pirouette, se replaçant correctement.

C'était sans compter avec sa bure, qui aurait ici le rôle de faire parachute afin d'amortir l'aboutissement de sa descente. Voltigeant face à la truffe, c'est non sans une certaine satisfaction que son ultime trait se faufila vers l'orbite de la bête, perforant le globe oculaire pour aller détruire littéralement le cortex cérébral via les ondes issues de son chargement. Vite fait, bien fait. Par manque de confiance en l'important gonflement de son habit, il préféra s'emparer d'une branche vigoureuse de l'arbre le plus proche, suspendu en plein vol alors que son altitude était débitée à chaque seconde passant. Retombé sur ses pieds après cela, son regard se porta sur la masse de chair gargantuesque descendue à l'instant, se disant que cela ferait la prospérité des charognards. Le séisme localisé dû à sa chute sur la froideur du sol resterait longuement gravé dans la mémoire du métisse. Le plus dur était à faire... Trottinant jusqu'à la tête de l'euthanasié, un certain dégoût accompagna le soulèvement de sa babine. Une traction mesurée pour n'être ni trop forte, ni trop faible l'aida à dégager une première partie du message, alors qu'il se démenait pour faire entrer en sa possession le feuillet entier.

On dirait que tu t'es pas mal amélioré depuis notre combat, compagnon !

Cigarette dans la bouche, le regard amusé, je m'approchai de mon ami, le Valkor Arsiesys. A ses pieds, une sorte de chien était allongé, visiblement mort. De toute évidence, c'était sur cette créature que l'homme faisant parti de ma Guilde venait de décocher l'une de ses nombreuses flèches de mana. D'ailleurs, je n'avais pas trop compris ce qu'il essayait de faire. On aurait dit... Qu'il tentait d'ôter quelque chose contenu dans la gueule du macchabée avec un bout de bois. Soit ce monstre détenait quelque chose d'important, soit le Sidereus avait totalement pété un boulon et souhaiter juste arracher la langue du Fenryl pour se faire de l'argent. Ma main droite, complètement recouvert de bandelettes, saisit mon trident et le fit quitter son étui, fraîchement acheté. Je dois vous préciser, par ailleurs, certaines choses: après la raclée mémorable que m'avait infligé le Champion Singam-Vellai, d'autres Aventuriers m'ont retrouvé et m'ont immédiatement ramené en ville, afin de me soigner. Par chance, ils avaient avec eux des médecins magiciens très compétents, me permettant ainsi de me remettre rapidement sur pied, bien que mon torse et mes mains soient toujours recouverts de bandelettes.

Quoiqu'il en soit, je sentais en moi quelque chose qui me poussait à apporter mon aide au Valkor. De la pitié devant son manque d'adresse ? Non, je ne pense pas. Je dirais plutôt que je le considère désormais comme un ami et que je ne peux refuser d'aider un ami. Après tout, entre membre de la même guilde et surtout entre amis, il faut bien s'entraider, n'est-ce pas ? C'est donc pour cela que j'ai enfoncé les trois bouts pointus de Calypso sur la face supérieure du museau du Fenryl avant de remonter lentement le trident, faisant ouvrir la gueule du monstre tout en s'assurant que mon arme ne quitterait pas le museau, empêchant ainsi ce dernier de se renfermer. Adressant un regard amical à Arsiesys, je ne pus m'empêcher de lui dire ces quelques mots.

Heureusement que j'étais dans le coin, sans quoi, tu aurais eu du mal à ôter cet objet de sa gueule.

Ses tentatives pour déloger le morceau de papier de la mâchoire de la défunte bête furent plus infructueuses les unes que les autres. Sans vouloir sombrer dans les calembours vaseux, on pouvait dire que cette saleté avait la dent dure, plus encore que quand elle voulait la planter dans le corps fin de l'archer sorti vainqueur de cette rencontre entre l'homme et l'animal. Toutefois, c'est un ennemi sans rapport qui parut alors se présenter à lui, le mettant sur ses gardes aussitôt. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit la silhouette d'une momie se profiler à l'horizon, surtout quand elle transporte ce qui semble être la gaine d'une queue de billard, fume plus encore qu'une cheminée débouchée récemment... Et qu'elle a en sa possession un timbre de voix moult fois entendus. C'était en effet son ami Casey qui disparaissait, selon toute vraisemblance, sous cet amas de bandage lui concoctant un costume parfait pour le rôle de pharaon revenu d'entre les morts, échappé à son sarcophage et à la pyramide le contenant. Relâchant ses défenses rétablies pour l'occasion, c'est avec soulagement que le métisse accueillit la visite inattendue de l'aventurier, apparemment en promenade à proximité. Dans ces circonstances, il s'était plus habitué à l'intrusion de chasseurs de trésors, ou d'autres monstres plus terribles encore que ceux qu'il venait d'abattre pour toucher au but. De joyeux souvenirs.

Tant est-il que l'aide de l'homme au trident fut guidée par la providence, puisqu'elle déclencha chez la créature tombée au combat un réflexe gravé dans la mémoire non pas de sa cervelle atrophiée, mais bien de son corps. Un crachat post-mortem mêlé d'un ultime grognement à fendre l'âme finit d'expédier le document dans les mains dans l'archer, qui ne put réprimer une moue dégoutée l'espace d'un instant une fois qu'il eut constaté la quantité de bave imprégnant la surface de l'objet. Avant même d'avoir pu le dérouler pour voir de quoi il retournait, après avoir fait fi bon gré mal gré de sa réticence quand à le toucher avant qu'il n'ait séché, le bruit lointain de ce qu'il dut apparenter machinalement à un galop le figea sur place. Ce n'étaient pas là des sabots. La course semblait plus feutrée, plus subtile. Un son qu'il ne connaissait que trop bien pour l'avoir entendu à maintes reprises lors de précédentes promenades, et avoir fait les frais de ce qu'il amenait avec lui. Or, les détails faisant différer les deux nouveaux venus de ce majestueux peuple qu'est celui des Singam-Vellai, à commencer par une musculature bien plus éminente que celle de leurs pairs enterrés par l'historien, n'étaient pas fait pour le rassurer. Les sangs glacés par ces apparitions malvenues, il rangea sa trouvaille à l'abri dans un pan de sa bure, s'assurant ensuite une bonne prise sur son arc fraichement créé échappant encore à la vue des fauves, tout comme leur tandem passé inaperçu. Les hybrides léonins ne mettraient pas longtemps avant de faire le tour de l'immense cadavre du Fenryl et de découvrir leur présence; si ce n'étaient pas leurs yeux qui les démasquaient, ce serait leur flair. En d'autres termes, la rencontre était inévitable, et l'argonate devait savoir avec quoi cela rimait.

Ne t'en fais pas pour moi, je suis encore en état de leur faire faire connaissance avec mon arme. D'autant que j'ai un compte à régler avec celui au chakram.

Ils étaient là, fraichement apparut devant nos yeux, leurs armes déjà dans sorties et prêtes à être utilisées. Le premier, le moins imposant physiquement, avait une énergie bleue tournant sans cesse autour de ses mains. Du mana ? On dirait bien mais depuis quand les Lions blancs usaient de la magie ? N'éprouvaient-ils pas du dégoût envers tout ce qui est magique ? C'est ce que m'a dit Thanor mais visiblement, certains de ses compères Singam-Vellai semblent avoir rejetés leurs principes. Ce type était donc un Hérétique... Moi qui pensait que cela n'était guère possible pour cette culture, me voilà bien surpris. Quand au second... Lui, je le connaissais. Etant largement plus grand qu'Arsiesys et moi-même, plus imposant que nous deux et tenant un chakram dans ses mains, il nous regardait avec un regard meurtrier, montrant les deux et poussant sans cesse des petits cris grave. C'était celui-là qui m'avait agressé dans la forêt et cette fois, je comptais bien lui faire la tête au carré. Le combat commença dès lors, les quatre protagonistes s'élançant pour se foutre sur la gueule les uns les autres.

La dernière fois que nous avions combattu une créature, l'historien et moi, nous étions tombés sur un Vieumaur et un Vieiloursmaur. L'écart de puissance entre nous et les monstres était quasiment identique à celui de ce combat. Nous allions donc effectuer la même stratégie qu'aux Terres Brûlées à savoir, se débarrasser du plus faible. Et cette opération fut un franc succès: bien que le Valkor ait raté sa cible via sa flèche de mana, j'en avais profité pour bondir et porter un coup mortel de trident dans la tête de l'Hérétique. Il fallait préciser que juste avant, cet abruti s'était troué le bide, pour «ne faire qu'un avec le Mana». Du moins, c'est la phrase qu'il a sorti juste avant que Calypso vienne se planter dans son crâne, l'envoyant six pieds sous terre sans aucun mal. Arsiesys, que je surnomme «La Mitrailleuse Bleue», me fit une démonstration de ses talents d'archer magique, en envoyant une salve de flèche de mana sur le Champion. Ce dernier n'apprécia pas spécialement cette pluie saphir d'ailleurs, vu la quantité de sang qui s'échappait de son torse et les cris de douleur qu'il émettait. Enragé, il prit son chakram et le balança vers moi, avec une force inouïe. Malheureusement, il me fut impossible de l'esquiver, ayant exécuté un nouveau saut aérien dans le but de porter une attaque à notre ennemi. L'arme circulaire m'atteignit de plein fouet, rouvrant les blessures que ce mauvais gars m'avait fait lors de notre rencontre au Walhalla et m'envoyant valser plusieurs mètres plus loin et me plongeant à nouveau dans l'incapacité de combattre. Le torse ensanglanté, je n'en suis pas moins inconscient. Je fais donc la seule chose que mon corps et mon esprit me permettent de faire vu la situation: observer ce combat, que Arsiesys devra désormais continuer seul.

L'éblouissement découlant de la pluie de traits couleur océan ayant été jetés avec vélocité sur la robuste apparence de l'hybride fut de courte durée. Ce scintillement aveuglant était pour Arsiesys la meilleure preuve de la progression de sa puissance, puisque cela n'était du qu'à la forte concentration magique de ses projectiles. Si cela n'était pas encore assez pour clouer au sol le porteur de chakram, cela l'avait lourdement amoché, sans l'ombre d'un doute. Si Casey disait avoir des comptes à rendre, avoir besoin d'aide n'était pas honteux en son état, et c'est pourquoi l'archer avait jugé bon de lui venir en aide pour perpétrer ses représailles. L'historien ignorait quels différents faisaient naitre les griefs de son acolyte envers la bête, mais pour avoir plusieurs fois essuyés leur colère pour sa seule pratique des arcanes, ce n'était certainement pas lui qui allait en tenir rigueur. Aussi se contenterait-il de sauver durement sa peau, au même titre que celle du complice en question, très visiblement motivé à prendre sa revanche. La vengeance est un plat qui se mange froid, surtout dans le climat polaire de Midgard où il est déjà bien assez dur de se garder chaud soi-même. Il se contenta donc de mettre les bandelettes protégeant son compère de la lumière du jour sur le compte du titan. Il raffermit sa garde avant de se lancer à l'assaut dans une totale harmonie avec les actions de son partenaire.

Le plus curieux fut de voir le second ennemi exercer une maitrise sur ce qui apparaissait distinctement comme étant une forme de sorcellerie aux yeux experts du natif d'Arkady, interrompu dans sa session de tirs ininterrompus par la stupeur. N'était-ce pas le comble que de voir ces fauves utiliser ce qu'ils détestaient tant pour exterminer les autres pratiquants ? Cette passion contre-nature ne lui fut point profitable, puisque le rituel sensé catalyser ses pouvoirs en une toute autre dimension l'affaiblit suffisamment que pour que l'argonate en ait définitivement raison sans avoir à déployer une ingéniosité à liquéfier les neurones. Un pan de sa cape saisi pour faire obstacle au rayonnement bleuté le laissa petit à petit reprendre ses repères sur la scène, découvrant le corps voletant de son allié. D'une glissade sur le flux de son pouvoir mystique, il rattrapa au vol la carcasse voltigeante afin de la protéger contre une chute qui ne serait que trop violente, et n'arrangerait rien à son état. Déjà que son moral risquait d'être en berne après cette défaite-éclair... Le corps posé quelques mètres plus loin, à l'écart de toute hostilité sans que son ennemi n'ait pu en profiter pour lui faire connaître le même sort, Arsiesys toisa de loin le museau velu n'attendant que d'être renfoncé. Cela faisait longtemps qu'un adversaire de ce calibre ne s'était pas montré, et cela faisait grimper en lui une certaine excitation, l'adrénaline s'en mêlant. S'en remettre à sa chance était le moins qu'il puisse faire pour espérer rendre la monnaie de sa pièce à cette chimère de la part de son camarade blessé.

Le fils du désert ne s'était que rarement senti aussi libre, une fois hissé sur l'onde grâce à laquelle ses déplacements atteignaient une vitesse largement supérieure à la normale. Un curieux sentiment de liberté s'était emparé de lui voilà plusieurs minutes, et n'avait eu de cesse de prendre de l'importance alors qu'il mettait son acolyte aux abris pour mieux en finir avec son agresseur. Quelque chose d'indéfinissable l'habitait, une grande sérénité qu'absolument rien ne pourrait ébranler. La sensation de pouvoir tout réussir. Il n'avait pas la moindre idée de ce qui lui donnait cet excès de confiance, mais cela ne pouvait qu'affuter son habileté à l'arc. Et Dieu seul sait que l'égaler de tout le monde de Syren était un défi que seule une poignée de personnes pouvaient se vanter d'être aptes à relever sans présumer d'eux. La mine féroce du Singam-Vellai n'annonçait rien qui vaille, mais ce n'était qu'un jeu d'apparences ; l'écrivain pouvait se montrer tout aussi bestial au fond de lui à ce moment. Les yeux dans les yeux, face à face, chacun attendit patiemment que l'autre fasse le premier pas et initie la guérilla. Un seul s'en tirerait vivant alors que l'autre se vouerait à la vocation de passoire organique géante. Et il va sans dire que pour tout ce qu'il lui restait à faire dans la vie bien remplie incombant à ceux acceptant son métier, finir transformé en gruyère ici était impensable. L'héritier ne fit que stabiliser de plus en plus sa position de mouvement brefs, secs et précis, calculant l'angle de chacun de ses membres, le suivi du plus petit geste.

Une précision diabolique. Une préparation appliquée et inflexible mettant en valeur toute la sagesse dont il pouvait faire preuve du haut de sa maturité de « doyen » du Divum Legi, aussi insensé que cela puisse paraitre selon son jeune âge. Au bout de plusieurs minutes de silence total, il fit mine d'avancer le pied et d'y prendre appui pour se jeter vers l'avant. Ce qui fit aussitôt partir le lionceaux impétueux de sa position pour contrer cette avancée. Mais il s'agissait d'une feinte, et c'est ainsi qu'il se retrouva à enrager, de la neige plein les yeux après avoir essuyé le jeter d'une motte conséquente préparée aux petits oignons pour atterrir droit dans ceux-ci. Ce relâchement fut mis à profit par le voyageur, qui en profita pour bondir pour de bon. Se cramponnant à l'encolure de l'animal, une vrille bien sentie en prenant appui sur son corps puissant lui permit de s'envoler littéralement après une ultime pression du pied sur le crâne de l'animal. Un premier tir avait été réalisé de sorte à le tenir debout après avoir encaissé cette précipitation au cœur de la cécité, et le second ne fut pas plus doux : la flèche se planta à l'emplacement précis de son épine dorsale, pour mieux la traverser et ce jusqu'à le clouer au sol. Une vraie brochette à la mode régionale. Content de lui, Arsiesys s'épousseta les mains, sans prendre conscience sur le moment d'à quel point son potentiel pouvait se révéler effroyable en certaines circonstances. Comme celles-ci. Ses pieds s'enfoncèrent dans la neige jusqu'à ce qu'il ait rejoint son ami, demeuré en sécurité alors qu'il finalisait le règlement de comptes à sa place. Une main fut tendue dans la direction du vaincu, accompagnée d'un sourire chaleureux, dans l'évidence d'une proposition d'aide à se relever.