Tourisme perturbé [PV]

J'avais été envoyé dans les Baronnies en permission afin de prendre quelques jours de congé dans une contrée reculée, ce pour me désintéresser de nos affaires militaires qui prenaient le pas sur ma propre vie. Je n'avais été mis au courant de cette décision qu'à la toute dernière minute et m'y serais assurément opposé si j'en avais été averti : je n'avais pas besoin de vacances et la Khan m'avait quelque peu froissé en m'en faisant prendre de force. Néanmoins, j'avais fini par le prendre du bon côté et tant qu'à être là de ramener quelques denrées rares au pays à mon retour, principalement alimentaire. Si les mets n'étaient pas la principale préoccupation, il fallait que je remplisse ces quelques jours d'éloignements sans quoi je finirais par en perdre la raison – et serais à coup sûr bien moins performant dans mes fonctions une fois rentré.

Aussi étais-je sorti avec mes quelques économies personnelles en poche et me mis en but de déambuler dans le quartier commerçant afin de me procurer ce que j'étais venu y chercher, même si cette ville dans son ensemble reposait principalement sur un agencement de toutes sortes de boutiques où n'importe quel riche et influent personnage aurait pu se perdre des heures durant, le vice de l'argent prenant le pas sur la conscience avec une facilité que j'avais toujours trouvée déconcertante. Après avoir longuement négocié le prix d'un chargement conséquent de victuailles et autres fruits et légumes avec quelques vendeurs amicaux que j'avais fait craquer par les mots, je m'aperçus que la nuit tombée approchait plus vite que je ne l'aurais cru et qu'il me fallait forcer l'allure si je ne voulais pas être pris de court par un crépuscule prématuré.

Ce fut alors qu'une idée lumineuse jaillit des profondeurs de mon esprit : celle d'offrir un présent à ma supérieure en guise de remerciement pour tout ce qu'elle avait fait pour moi et plus particulièrement ce voyage d'agrément, même si j'aurais tout fait pour ne pas avoir à y être convié si on m'y avait laissé un mot à dire. C'était la moindre des politesses que de lui offrir un modeste cadeau afin de lui montrer ma gratitude, et ce au-delà de ce séjour en des terres qui m'étaient inconnues mais que j'apprenais à découvrir avec satisfaction, mémorisant les spécificités de la cité, de ses habitants et de leur mode de vie tout en profitant d'une culture que je ne connaissais que trop peu. Une étude intéressante dont je ne me lassais point, même si elle ne saurait me faire oublier que j'étais impatient de retourner à mon poste pour y officier comme je l'avais toujours fait...

J'entrais dans la modeste boutique d'un antiquaire, mes paquets sous le bras. J'avais repéré en vitrine plusieurs bijoux dont il ne soupçonnait probablement pas la valeur au vu des prix ridicules auxquels il les proposait. Autant dire que cela revenait à acheter un gisement d'Artefact pour une bouchée de pain et j'allais m'empresser d'en faire l'acquisition avant que plus de connaisseurs viennent fourrer leur nez dans cette boutique. Mes économies étaient vastes et je n'aurais aucun mal à ramener ces quelques humbles cadeaux à la Khan afin de lui faire comprendre que je n'étais pas un ingrat et que je connaissais l'importance de tout ce qu'elle avait fait pour moi. Une façon d'exprimer sa reconnaissance par les objets était d'en donner qui soient à la hauteur de la personne concernée et s'y adaptent, et j'osais espérer que ces verroteries lui plairaient sans quoi j'aurais manqué mon coup. Mais à peine fus-je entré que j'entendis des bruits provenant à l'évidence d'une dispute houleuse entre le maitre des lieux et un client mécontent. Les éclats de voix n'étaient pas sans me peser et je m'approchais, curieux, du comptoir où se déroulait l'anicroche. De ce que j'avais pu en comprendre, les propos contestataires se référaient à un objet acheté ici et du remboursement qu'il exigeait à grands cris – ce qui avait d'ailleurs pour talent propre de me rompre les tympans comme on déchirerait une feuille de papier tant la voix sifflante du gêneur était horripilante. Mais j'en compris la cause une fois plus avant : l'individu à la voix si méprisable n'était autre qu'un Vaangh. Et si l'ethnie ne m'était que peu connue, j'éprouvais déjà de l'antipathie à son égard relative aux quelques-uns que j'avais massacré au cours de mes affrontements passés avant qu'ils ne soient dépecés pour leurs robustes écailles une fois de retour au bastion. Que de souvenirs, et j'en vins presque à souhaiter que ce messire connaisse le même sort tant il m'était insupportable, que ce soit pour ses jérémiades ou son timbre serpentin trop prononcé.

Je veux mon argent tout de sssssuite ! Clama-t-il.

Excusez-moi... fis-je en m'approchant de quelques pas ténus. Ne pourriez-vous pas... Baisser d'un ton ?

Le ton se voulait amical et je m'assistais d'un léger sourire pour qu'il comprenne que je lui disais cela sans animosité aucune – ou qu'en tout cas je la cachais merveilleusement bien. Ce qui ne l'empêcha pas d'exercer une soudaine brusque pression sur ma poitrine qui me propulsa en arrière. S'il descendait des reptiles, sa force était celle d'un bœuf et je le compris alors que je valdinguais, traversant le magasin par la voie aérienne pour finir par m'écraser dans un étalage et m'y encastrer dans la destruction alarmante de plusieurs poteries anciennes que le marchand devait déplorer à en voir sa mine contrite, au bord des larmes. Quelle force... Et la vitesse n'était pas en reste. Même mon bouclier n'avait pas su se déclencher avant que je ne sois touché et je m'étais envolé avec autant de légèreté que si je n'étais qu'une plume emportée par le vent. C'était dire s'il en avait dans les bras. Et tandis que je prenais mon mal en patience pour me relever afin de ne pas abuser de mes efforts après avoir subi cela, j'eus la déplaisante surprise de recevoir ce que j'estimais être une roche peinte en plein crâne, ce qui m'expédia cette fois contre le mur où je finis placardé avant que l'expéditeur ne quitte les lieux dans un claquement de langue que j'eus l'envie de lui faire ravaler de mon poing, si je n'avais pas été si désappointé après m'être fait balayer comme un fétu de paille. Je ne m'y attendais pas et même mes réflexes n'avaient pu devancer ceux d'une bête sauvage gorgée de son hostilité sous la forme la plus pure. Il ne perdait rien pour attendre...

Après m'être excusé pour la casse auprès du maitre des lieux, je jetais négligemment sur le comptoir une partie de mon argent en dédommagement, devant avoisiner le prix que j'estimais pouvoir donner aux objets brisés. Je ne savais pas s'il y avait assez mais je l'apprendrais bien assez tôt si ce n'était pas le cas, car il ne manquerait pas de protester pour me le faire savoir. Et puis je n'étais pas un mauvais payeur : je reviendrais régler les dettes s la somme ne correspondait pas aussitôt que j'aurais terminé ce que j'avais à faire. À savoir, prendre une revanche attendue sur l'initiateur de ces quelques destructions qui auraient pu mal tourner si j'avais riposté directement à l'intérieur. Mieux valait attendre qu'il soit sorti afin que nous ne mettions pas en pièce mobilier comme local, sans quoi même tout mon argent n'aurait pu contenter le propriétaire déjà rendu trop émotif par ces bouleversements trop importants pour son âge. J'étais donc resté passif, mais maintenant que moi comme l'homme-lézard nous trouvions dehors, je pouvais sans problème lui rendre la pareille. Ce que je fis en me jetant sur lui d'un pas léger et élégant, brandissant la lance que je venais d'extirper du fourreau trompeur pendu à ma ceinture la faisant passer pour une épée quelconque. Étirant son manche rétractile, je fonçais droit devant mais manquais néanmoins ma cible qui m'avait entendu arriver. C'était volontaire : je n'aimais pas tuer en traitre en frappant dans le dos et m'offrais ainsi la perspective d'un combat à la loyale, même si je doutais que le reptile comprenne le sens de ce mot qui en avait pourtant beaucoup à mes yeux.

Maintenant que je peux me battre moi aussi, m'accorderiez-vous cette danse ?

Sssss... Tu vas voir ! Persiffla-t-il de sa langue fendue avant d'empoigner ce que j'identifiais à des aiguilles, projectiles pendus à sa ceinture dès le départ. L'importance de ses ongles me fit dire que je pouvais être content de n'avoir pas été griffé, sans quoi j'en garderais la balafre longuement, puisque ma peau tendait à marquer quand il était question de stigmates et de blessures de guerre même si je n'en avais encore que très peu à ce jour. Mais je ne pouvais nier leur présence et la facilité qu'elles avaient eu à devenir indélébile... Ma cape bleue virevolta au gré du vent alors que je me remettais en garde, ajustant idéalement ma posture pour ne laisser aucune ouverture. Seulement, la portée de ses armes me faisait deviner qu'il me faudrait me rapprocher de lui aussi vivement que je le pourrais si je ne voulais pas finir hérissé de pointes d'acier, transpercé par des lancers qui devraient être au moins aussi véloce que ceux que j'avais subi lorsque nous étions dans l'enceinte du magasin. À ceci près que cette fois, je ne serais pas le poids de lancer... Me précipitant aussi vite que ma course et mes jambes me le permettaient, je passais entre les mailles du filet et par conséquent entre les tirs pour finalement me retrouver si près que je pouvais discerner le détail de ses écailles verdâtres. Arrivé au corps à corps, je l'y engageais en balançant lestement mon poing vers son visage que je ne pouvais guère encadrer tant pour sa laideur que pour l'être désagréable qu'il représentait. Après avoir bougé subitement pour l'esquiver, il tenta de riposter et n'eut que le temps de me voir esquisser un sourire avant que sa main ne se fracasse dans un bruit macabre sur le mur enchanté assurant ma défense. Le cristal était à l'évidence plus dur que ses phalanges pourtant renforcée par un derme renforcé et le sang qui jaillit en fut la meilleure des preuves.

Surpris ? Et ce n'est que le début.

Concentrant la défense mystique sur mon poing, je pivotais sur moi-même pour bénéficier d'un élan optimal et le frappais au ventre, ce qui eut pour effet de le plier en deux. Ce qui arrêta net l'un de ses coups qui ne réussit qu'à m'érafler la joue, un tracé sanglant parcourant ma pommette sur quelques centimètres tandis qu'il reculait en titubant, le souffle court suite à la violence que j'avais mis dans mon coup. Et j'étais pourtant loin d'être au maximum de ma puissance. Pliant les jambes, j'usais de toute ma détente pour bondir et m'élever dans les airs avant de joindre les mains, faisant croire que j'accomplissais une prière silencieuse. Mais il n'en était rien. J'abattis mes poings liés sur son crâne après les avoir renforcés de l'habituel rempart scintillant dont l'éclat adamantin devrait contribuer amplement à lui fendre le crâne sans qu'il n'ait compris ce qui avait pu lui arriver à compter du moment où il était entré en contact avec mon bouclier, héritage maternel dont j'étais incapable de me défaire et qui disposait en plus d'une grande utilité. Alors que son corps massif s'écroulait au sol dans un bruit mat, je tirais ma lance du sol où je l'avais plantée sous les acclamations du marchand, qui avait assisté à toute la scène, et que je gratifiais d'un sourire se voulant aussi chaleureux que je le pouvais. Puis, je me penchais sur ma victime estourbie, indifférent à son sort.

Et bien messire, auriez-vous besoin de quelque assistance médicale ?

Et sur cette petite conclusion piquante, je m'en allais comme un prince, quittant les lieux sans espoirs de retour ou même de survie dans son cas. Il était venu, avait vu mais n'avait pas vaincu : je l'avais terrassé alors qu'il était certain de sa puissance et de sa suprématie, que je lui avais hâtivement fait ravaler à l'aide d'un arsenal taillé sur mesure pour me convenir à la perfection. Il saurait que défier un Raïken ne peut apporter que de néfastes conséquences.

Qui sème le vent, récolte la tempête.

De mon pouce ganté, j'essuyais le tracé vermillon laissé sur ma joue par les griffes de la chimère que j'avais abattue et continuais silencieusement ma route vers l'auberge dont j'avais loué les services pour la durée de mon séjour. On ne pouvait pas dire qu'il ait su faire bonne figure à en voir la petitesse de ma blessure, mais au moins avait-il pu me toucher : c'était une opportunité que peu avaient et il emporterait dans la tombe ce privilège, à en voir l'état dans lequel je l'avais laissé sur place. À moins qu'on ne lui vienne en aide dans l'urgence, il ne pouvait qu'être condamné et voué à disparaitre après avoir été écrasé de la sorte par mes bons soins. Je n'avais pas pour coutume d'être aussi cruel et impitoyable mais pour ses méfaits et son manque manifeste de courtoisie, ce ne serait à l'évidence pas une grande perte si nul ne volait à son secours et qu'il continuait à baigner dans une marre sanglante à l'ombre de la boutique que nous avions bien failli dévaster. Mais c'est alors que je me sentis épié et je me retournais aussitôt pour apercevoir dans l'ombre d'une façade ce que je considérais aussitôt comme un bandit de grand chemin, d'après la massue qu'il tenait d'une main et effleurait de l'autre pour vérifier l'importante densité de cette arme contondante. J'avais connu plus subtil, que ce soit dans l'armement ou dans l'approche. Venir près de sa proie d'un pas indécis en affichant un sourire goguenard aux dents irradiant de toutes les mauvaises intentions de son propriétaire n'était pas ce qu'il y avait de plus discret en matière de tactique et j'avais d'ores et déjà sorti mon propre instrument martial pour l'en menacer, laissant luire dans les dernières clartés du jour la pointe d'une lance qui aurait tôt fait de le percer de toutes parts s'il persistait à vouloir me jouer de sales tours. Dépliant mon bras de toute sa longueur et en faisant identiquement de la lance, je la pointais vers sa gorge, prêt à la tranchet au moindre mouvement suspect afin de m'en défaire aussitôt. Je n'avais que trop trainé et les rues n'étaient pas sûres, et je ne pensais pas cela pour les petites frappes de son acabit : des dangers plus préoccupant pouvaient rôder non-loin et je n'avais guère envie de faire leur connaissance. Aussi voulais-je abréger la rencontre et le dialogue, mais j'avais dans l'idée qu'il n'était pas de cet avis...

Vous m'en excuserez mais je n'ai pas de temps à perdre avec des sans-abri et mon humeur n'est pas au beau fixe. Je vais donc te demander de me dire immédiatement ce que vous me voulez si vous ne souhaitez pas être le premier de nous deux à en pâtir.

Haussant les épaules, l'air décontracté, il fit mine de se raviser et de faire volte-face mais ce ne fut qu'une ruse : jouant d'une extrême célérité procurée par son corps rachitique, il plongea à terre et voulut me jeter une maigre quantité de poussière dans les yeux pour m'aveugler. Tentative vaine puisque je protégeais aussitôt mon visage de ma cape avant d'en faire un voile me dissimulant pour me ruer dans sa direction. S'il me cherchait des crosses, il en allait de mon honneur d'y répondre, et le poison enduisant ma fine lame ne pourrait que le dissuader à tout jamais d'être l'instigateur de telles escarmouches. Fonçant à toute allure, j'entamais une première fois son flan et vit à son expression décomposée et à l'exclamation de douleur extrême qu'il retint que l'injection que je venais de lui faire était déjà trop forte pour un second couteau tel que lui. Loin de me démonter pour autant, j'esquissais un sourire en coin avant d'esquiver un mouvement de sa masse trop aléatoire pour pouvoir me toucher et plantais cette fois la pointe rattachée à la hampe que je maniais dans son genou pour l'y tourner d'un coup brusque, endommageant lourdement la rotule et ce qui s'y rattachait dans un cri déchirant de sa part. Sournoise dissuasion mais je n'avais d'autre choix si je voulais lui faire comprendre son erreur sans nécessairement le mettre à mort. Quelques rotations du manche entre mes doigts firent tourbillonner Skeith adroitement avant que je ne me recule d'un pas, prêt à frapper à nouveau s'il démontrait encore de l'animosité envers moi.

Pouvons-nous en rester là ? Je n'ai pas d'antidote à ce poison mais si vous n'êtes pas encore trépassé c'est que la dose n'est pas assez importante pour vous tuer. Je peux vous laisser partir si vous vous résignez à me laisser rentrer en toute quiétude. Alors, que faisons-nous ?

Un bond de désespoir me répondit, ses dents étant trop serrées par le mal le congestionnant pour que je puisse avoir droit à mieux que cela. Son gourdin s'écrasa lourdement sur mon épaule sans y faire trop de mal puisque l'empoisonnement avait déjà raison de sa vitalité mais je le sentis tout de même passer, et eus pour réflexe d'y répondre en lui transperçant l'abdomen sans avoir pu réfléchir à ce que je faisais au préalable. Tant pis. Ce ne serait qu'un pauvre homme de moins dans les bas-quartiers de cette cité qui m'apparaissait maintenant sous un jour bien moins hospitalier que celui qu'on m'avait tant vanté à l'archipel...

Soit... Reposez en paix.

J'eus alors la mauvaise surprise de découvrir une ombre progressant vers moi à pas de loup, une arme identique à celle de l'homme que je venais d'abattre à la main. N'écoutant que ma prudence et mon instinct de survie, je fis volte-face et me saisis de son poignet avant de tirer de toutes mes forces de manière à faire passer son corps complet par dessus mon épaule, jetant le malheureux plusieurs mètres plus loin et rouler dans la poussière. Je raffermis ma prise sur Skeith et m'apprêtais à me jeter dans un second combat, même si l'état désastreux de ma clavicule et de ce qui y était rattaché était plus qu'il n'en faut pour me faire douter de l'aisance que j'aurais pu avoir à m'en défaire. Et si j'étais sûr que le premier se serait écrasé pitoyablement au sol si je lui avais fait le même coup, celui-ci se rattrapa en se ramassant sur lui-même avant de se relever, préparé à une telle riposte de ma part. Sa préparation physique n'avait rien à voir avec celle de son homologue que je venais d'abattre et je voyais en lui un danger potentiel alors que je n'avais fait que dédaigner la menace qu'aurait pu être son prédécesseur. Autrement dit, je venais de troquer un voyou négligeable contre un bandit à la hauteur de cette appellation qui semblait m'en vouloir pour avoir perpétré un meurtre envers son semblable afin de continuer tranquillement une route que je n'aurais jamais cru si animée. Mais ce n'était pas ce qui m'empêcherait de vendre chèrement ma vie, un prix d'or que même la sienne ne pourrait pas payer.

Non pas que je me pense inestimable mais plutôt que je ne pouvais pas admettre de mourir au combat sans que ce soit pour celle que je représentais et en son seul nom plutôt que pour être détroussé de mes biens. Et c'était afin de pouvoir me sacrifier à sa cause que je me battrais comme un lion pour sauver ma peau des griffes de ce pickpocket dont je ne pouvais supporter la vue dans un paysage pourtant si agréable avant qu'on ne vienne me chercher des crosses que je ne croyais pas avoir légitimées. Quoi qu'il fasse ou dise, je n'étais pas prêt à mourir et encore moins si ce devait être pour lui laisser quelques piécettes qui finiraient immanquablement troquées contre de l'alcool ou un autre vice, selon l'orientation de sa débauche. Que d'ambitieux projets que je devrais malheureusement reléguer au rang de lointaines espérances en le mettant à bas comme je venais de le faire de son prédécesseur si je voulais m'en tirer sans risques de représailles ultérieures de sa part. Je n'étais pas ici pour me faire des ennemis et préférais donc procéder à un nettoyage par le vide en éliminant tous les empêcheurs de tourner en rond qui pourraient avoir à souhait d'attenter à ma vie, quel que soit le motif. Projetant mon corps vers l'avant d'une véloce impulsion, je portais un coup d'estoc à l'abdomen de mon agresseur ou en tout cas était-ce ce que j'avais prévu, mais je ne réussis qu'à percer son flanc après une vaine tentative de fuite de sa part.

Néanmoins, il contracta les muscles afin que j'aie le plus grand mal à la retirer avant de frapper à nouveau, ce qui me fit comprendre que son expérience du combat ne se limitait pas à l'usage de la violence envers les voyageurs imprudents afin de les priver de leurs possessions. Étrange mais agréable : au moins ne pourrait-on pas me dire que j'avais rouillé au cours de ce séjour soi-disant tranquille dont je découvrais maintenant l'envers imprévu du décor. Je manquais ma cible et dus m'y reprendre une seconde fois pour toucher à nouveau, cette fois après l'avoir repoussé en arrière d'une ruade et d'un coup d'épaule savamment logé en plein plexus solaire. Je le vis s'écraser sur la devanture renforcée d'une boutique et en fissurer les briques, peut-être y avais-je été un peu fort... Ou du moins était-ce ce que je me disais jusqu'à le voir se relever malgré la sauvagerie du choc. Intéressant. Ce fut alors que je dus reculer à mon tour suite à un retour de flamme que je n'avais pu anticiper : le lancer de son arme de prédilection, qui ne fit qu'empirer l'état de la lésion laissée par le coup de son camarade. À croire qu'ils s'étaient donnés le mot pour me rendre invalide au moins d'un membre... Mais je ne comptais pas me laisser amputer par de si grotesques ennemis et repris du poil de la bête, même si l'affaiblissement clair de ma main directrice n'était pas pour m'aider.

Après avoir récupéré son arme d'un bond fulgurant, il se mit à parer successivement chacun de mes coups mais je finis par percer à jour la suite logique de ses mouvements et pénétrais sa hanche de ma lance. Et alors qu'un réflexe malencontreux le faisait se plier pour y porter une main protectrice, je lui en perçais le buste et le vit alors être parcouru de spasmes. Le poison faisait effet et il ne s'en relèverait pas. J'avais gagné.

Aujourd'hui, je rentrais chez moi. J'avais amplement profité de cet éloignement aux frais de la princesse mais il était plus que temps que j'aille la retrouver et l'épauler comme le voulait mon emploi. Je ne pouvais pas délaisser éternellement les affaires intérieures auxquelles j'étais affecté pour mon plaisir personnel, plus encore quand celui-ci était plus une contrainte qu'un choix délibéré puisque je n'avais pas eu mon mot à dire en étant envoyé ici. Mais le jour du retour était finalement arrivé et c'est en compagnie de mon paquetage réduit que je me hissais à bord du frêle esquif devant me porter jusqu'au cœur de mes terres natales. Le bastion de jade m'attendait, et je m'interrogeais sur le nombre de personnes que mon absence avait pu incommoder alors que je poussais un soupir mitigé, le sac renforcé de lanières de cuir que je portais s'écrasant lourdement au sol.

J'étais soulagé de quitter cet endroit : malgré quelques altercations, le calme ne me seyait pas et je devais admettre être un homme d'action ne pouvant tolérer de flâner durablement. Comme si rafraichir sa couleur vermeil lui était devenu indispensable, j'avais besoin de me servir de la lance que m'avait légué mon frère afin de maintenir son souvenir à la surface de ma mémoire ainsi que le fait que j'étais responsable de sa disparition. Je n'avais pas le droit d'oublier... Et alors que je me mettais en route pour la cabine que l'on m'avait indiqué, je vis une flèche me passer au ras de la joue, bien que je l'esquive de justesse : une seconde cicatrice fleurirait sur ma joue pour quelques jours, un centimètre à peine sous la première. Ou du moins aurait-ce été le cas si le projectile n'avait pas été muni d'un bout en caoutchouc...

Allez moussaillon ! Dans ta cabine ! Beugla le capitaine, agitant une arbalète de facture médiocre que j'identifiais à un jouet pour enfant – il n'y avait qu'à voir les munitions tirées.

Mitraillé que j'étais, je ne pus que me défendre difficilement avec mon bagage, mais son adresse au tir était grande et je me retrouvais bien vite criblé de ces fléchettes inoffensives dont les extrémités et leur effet ventouse seraient plus que pénible à décoller. Ceci fait, après avoir lutté de longues secondes durant afin de les arracher des étoffes ou de la chair selon les cas, je me réfugiais aussitôt dans la chambre qu'on m'avait assignée et me laissais tomber sur mon matelas, assis, mon peu d'affaires trônant à mes côtés dans leur réceptacle en position parfaitement droite. Sur quel navire de fous étais-je encore tombé ?