Suscitatio [PV Arsiesys-Veith]

Divum Legi ? Qu'était-ce donc ? Un plat ? Une boisson ? Une ville ? Un monstre ? Non, rien de tout cela. Il s'agissait tout simplement du nom du rêve de Mère, dans un langage qui m'est totalement inconnu. On dirait bien que cette fois, bien que j'ai eu des études poussés en linguistique, quelqu'un me surpasse dans ce domaine. N'affichant aucune expression après la traduction, j'écoutai avec une très grande attention les dires de Veith Siemond. Et visiblement, tout comme l'homme aux cheveux saphir ou moi, il semblait prêt à constituer un groupe, une unité d'hommes, une guilde. Et je dois vous l'avouer, l'idée me plaisait autant qu'eux. Quand le Chasseur de Primes termina de me parler, je ne répondis pas tout de suite. En effet, je devais réfléchir sur certains détails, notamment l'existence de la guilde, ses réels projets, son organisation, son financement... Tout ça sont des éléments à ne pas prendre à la légère, sauf si on souhaite passer, devant le monde entier, pour une bande d'ahuris ambulants aux objectifs complètement dénué de sens. C'est donc après plusieurs minutes de silence que je décide de répondre à mon camarade.

Cela me convient. Mais j'ai besoin encore d'un peu de temps pour réfléchir à certains détails. Si cela ne vous dérange pas, je vous invite à vous joindre à moi d'ici trois jours sur mon navire, l'Odyssée. Je dois à présent vous laisser, je dois régler certains détails ici, avant mon départ des Terres Brûlées.

Vous connaissez la suite. J'ai aidé Arsiesys à terrasser un Vieumaur et son ami, le Vieiloursmaur. J'ai ensuite réalisé un contrat avec une Sénatrice Zéphyr, Adonia Damara. D'ailleurs, c'est à peu près à la fin de cette mission que mon histoire reprend. Bien que nous soyons rentré tôt et que nous avions sauvé la vie du dignitaire Karnak, j'étais dans un état critique. A peine arrivé, on m'avait déjà emmené aux urgences et on m'avait remis sur pied sur le champ. Par chance, à part une marque de griffe gravée sur mon torse, je n'avais rien gardé de cet affrontement. Mon état, bien qu'inquiétant au départ, devenait de plus en plus rassurant. C'est donc pour ça qu'on m'a, exceptionnellement, autorisé à quitter le bâtiment de soin. De toute façon, s'ils auraient refusé, je pense que Père aurait utilisé de son influence pour me permettre de partir.

A présent, nous étions le jour auquel j'ai donné rendez-vous à Veith et Arsiesys. Par chance pour moi, les deux hommes vinrent et nous pûmes donc partir. Au départ de notre voyage et ce, jusqu'à ce que nous quittions la Mer Ardente, pas un seul d'entre nous plaça le moindre mot. Enfin, je vous dis jusqu'à la Mer Ardente, mais c'est un mensonge. Ceci dura jusqu'à la Mer des Brumes. On remarqua notre entrée dans cette partie de l'Archipel Midgard seulement quand la brume se fit de plus en plus épaisse et que la température chuta soudainement. Heureusement, avec les habits que je portais sur moi, je n'avais pas trop à craindre la température. Et quand à la navigation de l'Odyssée dans ce lieu dangereux, je ne me faisais pas de soucis: Matthew s'améliorait considérablement de jour en jour, à croire qu'il a fait ça toute sa vie. Je pourrai vous en dire plus, mais je préfère passer à l'essentiel. Alors que j'étais assis sur le pont du navire, non loin d'Arsiesys et de Veith, j'avais décidé d'engager la conversation avec mes deux camarades, non seulement pour nous mettre au point sur certains détails mais aussi pour faire plus ample connaissance.

Vous savez, j'ai bien réfléchi à notre «clan» ces derniers jours. Et je pense que nous, les leaders, devrions en rien révéler notre appartenance à Divum Legi. Ou, tout du moins, passer pour de simples bas gradés. Nous porterons diverses grades. J'aurai souhaité que ces derniers soient de la langue que vous semblez maîtriser correctement, Veith. Il nous faut quatre titres différents. Le notre ne contiendra pas les mêmes mots mais j'aimerais cependant qu'ils aient la même signification que le mien. Après tout, sans votre participation, ce projet n'aurait jamais vu le jour... Ensuite, un rang pour les bas gradés. Et pour finir, un grade intermédiaire. Là par contre, il sera également occupé par une seule personne. D'ailleurs, c'est pour cette raison que nous sommes ici. Laissez-moi vous expliquer. Quand je n'étais qu'un enfant, j'ai fait la connaissance d'un Valkor plus vieux que moi. J'ai sympathisé avec lui et nous fûmes, durant de longues années, d'excellents amis. Et puis, on a commencé à se perdre de «vue» l'un et l'autre. Nous nous dirigeons vers le Royaume Valkor dans l'unique but de le retrouver. Il aura un rôle capital à jouer dans le Divum Legi et je ne vois que cette personne pour l'interpréter. Cet homme se nomme Stilgard Jarlasøn. Mais ce n'est pas uniquement pour cette raison que je souhaite le retrouver. Cette personne dispose de quelque chose qui peut nous être d'une très grande utilité et je souhaite savoir s'il l'a encore ou si on va devoir improviser...

Les derniers jours n'avaient pas été de tout repos pour l'archer de mana. À l'inverse, les péripéties avaient été présentes en nombre sur sa route pour son plus grand déplaisir, et croquer la vie à pleines dents n'avait fait que montrer que des vers peuvent s'y terrer le plus discrètement du monde. Et après en avoir vu de toutes les couleurs, entre l'excursion en compagnie de Casey et les déconfitures judiciaires dues à ce cinglé de Kuran, une cure de repos n'était pas de refus. Son oeil n'était toujours pas complètement remis de la blessure subie lorsqu'il était allé prêter assistance à son compagnon aux cheveux rouges pour son emploi de chasseur de primes. Sans parler de son bras gauche n'était pas non plus au mieux de sa forme, après avoir joué avec le feu - ou la foudre pour être précis - pendant la bataille aérienne dantesque qui avait pris place au bout de leur course-poursuite à Ileas et lui après leur accusateur. Bref, rien de très joyeux, et resté cloitré entre les murs de son modeste logis jusqu'à la date fixée n'avait pas été de trop, avec l'objectif d'obtenir un coup de fouet modéré et de tenir sur ses jambes sans tanguer au moment de partir.

Car oui, dépenser force vitale et mana jusqu'à plus soif chaque jour ne pouvait qu'arriver à le faire tanguer identiquement aux navires perdus au coeur de la tempête, l'autre jour. Des contrariétés en masse qui se succédaient et ne se ressemblaient pas, liées par le commun accord de lui pourrir joyeusement la vie de tout leur saoul. Que d'histoires à raconter en somme, mais l'heure n'était pas aux récits de souvenirs, aussi mirobolants soient les tenants et aboutissants qui y prennent part. Embarqués sur un royal bâtiment aérien qui n'était ni plus ni moins que la propre propriété de leur camarade Argonate, le trio se retrouvait donc en tête à tête, avec leur silence pour tenir la chandelle. Quel laps de temps passa sans que l'un d'entre eux ne déserre les dents ? Casey paraissait pensif, Veith vaquait à d'autres occupations que l'historien ne put identifier puisque ne l'ayant pas dans son champ de vision, et ce dernier justement se laissait aller à une oisiveté, messagère de la somnolence, qui l'abandonnait dans un recoin du navire.

Recoin où, un parchemin effrité par endroits à la main déroulé de toute son envergure, le mage continuait à paresser non sans une certaine abondance des plus fastes. Bien qu'à mi-chemin sur la route qui tenait les songes à l'écart de la réalité, ses pensées restaient tourné sur la locution latine du Zéphyr lors de leur premier échange à tous les trois au café : Divum Legi. Cette consonnance était connue d'Arsiesys depuis bien des années, mais ces mots avaient un effet de beauté particulier à son oreille, sensible aux sons en tous genres autant que l'étaient ses autres sens, chacun dans leur catégorie. Ce qui se cachait derrière ce baptême de leur groupuscule était romanesque et pouvait révolutionner le monde tel que tous le connaissent, et c'est bien là que nait l'engouement de l'historien pour cet ambitieux projet. De plus, le nom de leur véhicule collait tout à fait à cette dénomination qu'un oeil peu averti dirait pompeuse, mais laisserait rêveurs bien des hommes par les aspects qu'elle évoque...

Accoté au bastingage entre les menues affaires peu volumineuses emportées dans leur départ en réglant les frais de sa chambre d'auberge, son éternel sourire était tout ce que l'on pouvait discerner de sa face, enfouie sous la longueur androgyne de ses mèches au singulier coloris. Un frisson dévala son échine comme un long soupir glacé à l'approche des territoires givrés de Midgard et de ce qu'on pouvait y découvrir. La tête tournée, son menton s'appuya bien vite sur le bord du navire pour observer depuis son sympathique point de vue les alentours couverts d'une épaisse blancheur, faisant tout pour se réchauffer de frictions énergiques. La chute brutale de température était le signe avant-coureur de l'approche de leur point d'arrivée... Bien que le sommeil soit encore présent et l'admiration aussi, pas un des mots de l'heureux détenteur de leur moyen de locomotion n'échappa au co-fondateur de cette nouvelle guilde, jouxtant l'orateur de quelques courtes coudées. Sa grande silhouette se redressa d'un bond dans une exclamation de stupeur qui attira l'attention sur lui lorsqu'un nom bien connu de sa mémoire infaillible fut mis sur le tapis.

Du brouillard, encore du brouillard. A perte de vue. Dire que Veith avait sérieusement pensé être en mesure de pouvoir contempler le paysage alentour... Pourtant, impossible d'y voir à plus de cinq mètres; il avait même craint de percuter un quelconque obstacle, ou bien un autre navire, tant se diriger à travers cette purée de pois lui semblait inimaginable.

Pour cette raison, il s'était placé tout à l'avant du navire céleste, usant de sa mana afin d'alimenter perpétuellement un impressionnant brasier au creux de ses mains jointes en une sorte de récipient improvisé. L'humidité ambiante lui avait rendu la tâche difficile, mais il était finalement parvenu à ses fins. En plus de produire une lumière perceptible à travers le brouillard, ce feu magique possédait également l'avantage de le réchauffer. Sa tenue n'était réellement ni très chaude, ni trop légère, mais un vent frais s'infiltrait sous les habits, ne rendant pas cette mer très accueillante. Passer ainsi des terres les plus chaudes de Syren aux îles les plus froides faisait un contraste énorme, très difficile à supporter, d'autant plus que le Zéphyr n'avait encore jamais eu affaire à un climat aussi rude. Comble du malheur, ses ailes commençaient à s'engourdir, et il devait veiller à les agiter lentement de temps à autre afin qu'elles ne gèlent pas purement et simplement - chose toutefois relativement aisée, en raison du manque de visibilité empêchant quiconque de remarquer ses réelles origines.

Peut-être s'était-il embarqué de manière un peu hâtive dans toute cette histoire... Cependant, il n'avait pas l'intuition de dévier de son chemin, ni de s'engager dans quelque chose de périlleux. Bien que décidée à la hâte, l'alliance n'avait pas été qu'une simple idée lancée dans le vent. Non, le principal souci était pour l'instant que Veith s'éloignait énormément des Terres Brûlées. Mais qu'importe; cela ne laisserait qu'un instant de répit à Arkady. Lorsqu'il reviendrait, il aurait rallié des gens à sa cause et serait lui-même plus puissant que jamais.

Sur ces considérations, et tendant l'oreille, il surprit la petite conversation ayant lieu non loin de lui. Ce fut ainsi qu'il suggéra une simple idée, alors que, non loin de lui, quelqu'un annonçait l'arrivée imminente du navire au port qui faisait la fierté du peuple Valkor.