Un molosse de combat?

Le problème, avec Veith, c'était sa manie de chercher plus fort que lui afin de tester ses compétences martiales...

Beaucoup de Valkors étaient de véritables montagnes de muscles, dans les environs, mais ce type de challenges n'intéressait que très vaguement le Chasseur de Primes. En réalité, la lutte contre de puissantes et légendaires créatures alimentant le folklore local était autrement plus glorifiante - que ce soit le tour de force d'en terrasser un, ou bien l'extraordinaire chance d'en avoir rencontré et d'être encore là pour le raconter à son retour. Il avait d'abord traqué les fameux Nagawika des Terres Brûlées, sortes de vers gigantesques très rarement aperçus, sans succès. Cette fois, c'était un Molok qu'il avait la ferme intention de débusquer, malgré le danger qu'une telle rencontre pourrait représenter pour sa propre vie.

Le résultat découlant directement de ce voeu était sa présence même dans le coin perdu du Walhalla, à chercher ce qui pouvait fort bien n'être en réalité qu'une illusoire chimère; risque relatif à l'interprétation des légendes relayées par les vieilles gens, ou contées aux jeunes enfants par les mères soucieuses de trouver de quoi les effrayer suffisamment pour éviter qu'ils ne se relèvent au beau milieu de la nuit sans leur permission préalable. Entre la neige et les arbres, il était servi: même s'il rentrait bredouille, son aventure l'aurait tant épuisé qu'il pourrait prétendre avoir lutté toute la journée durant sans que cela ne paraisse être un mensonge éhonté. Heureusement, il commençait à s'habituer au froid polaire qui englobait les terres Valkor, et sa marche rapide avait tout du moins le mérite d'activer la circulation de son sang avant que celui-ci ne finisse par geler dans ses artères.

Il s'immobilisa. Du coin de l'oeil, il avait repéré un mouvement. Se félicitant pour son esprit alerte, il extirpa l'extrémité de son fusil de la neige avant de faire volte-face tout en effectuant un formidable bond. Peut-être un véritable challenge...

Une créature au pelage roux fonçait droit vers lui, le toisant d'un regard hystérique. N'était-ce pas copain Singam-Vellai, celui qu'il avait carbonisé et laissé dans la neige? Mais si, la couleur de brûlé de son poil ne permettait aucune erreur. Est-ce qu'il l'avait traqué par vengeance? Il ne savait pas s'il devait appeler cela de la ténacité, ou bien de la connerie pure, à en juger par la différence évidente de niveau entre eux.

Toujours était-il que la bestiole énervait passablement le Zéphyr, d'autant plus qu'elle semblait n'avoir rien appris de leur précédente rencontre. Elle courait toujours de la même façon, le chargeant de manière désordonnée sans même penser à sortir son arme. Sans se donner seulement la peine de viser, Veith balança l'un de ses rapaces de feu droit devant lui, fauchant sans surprise son adversaire en pleine course. Puis, réprimant un bâillement, il chargea une puissante sphère de vent qui le percuta violemment tandis qu'il courait pour éteindre l'incendie de sa fourrure. Sous la force de l'impact, ainsi que l'effet des souffles tourbillonnants contenus grâce à la mana, il décolla littéralement avant d'atterrir tête la première dans une crevasse qui s'ouvrait non loin de là. Un grognement plaintif se fit entendre lorsqu'il disparut dans l'obscurité du gouffre, puis plus rien. Quelle impressionnante résistance! Il devait avoir tenu encore moins longtemps que la fois précédente (si, si, c'était possible). Son unique qualité était d'avoir l'endurance nécessaire à son retour, après avoir été si aisément battu.

Le Chasseur de Primes rengaina son arme, s'approchant précautionneusement du vide. Aucun bruit de chute n'avait retenti. Quelque chose lui disait qu'il n'allait pas tarder à revoir ce monstre-là, mais peu lui importait; ses compétences martiales désastreuses le rendaient à peu près aussi dangereux qu'un caillou...

Bien. Cette fois, plus aucune erreur n'était possible. L'heure de perdre son temps avec d'insignifiantes bestioles était passée: c'était un Molok qu'il souhaitait, et c'était un Molok qu'il ramènerait. Sa volonté et sa patience n'étaient pas entamées par sa précédente rencontre, l'ennemi étant si ridicule qu'une vulgaire chiquenaude de sa part avait suffi à l'envoyer voler, à la manière d'un simple grain de poussière souillant son habit. Au mieux pouvait-on dire qu'il avait servi d'échauffement au Zéphyr, retardant légèrement l'instant auquel il gèlerait, l'obligeant à rebrousser chemin jusqu'à la ville.

Un brasier ondulant paresseusement dans le creux de sa main gauche, crépitant en réponse au souffle du vent, tandis que la droite restait cramponnée au fusil, il suivait dans la neige des traces de bonne taille qui pourraient fort bien correspondre à la créature qu'il traquait. Il s'était bien entendu documenté avant son départ, soucieux de parer à toute éventualité, se faisant apprenti trappeur le temps d'une journée. Les empreintes étaient très marquées, signe que l'animal qui les avait créées pesait son poids; et, à moins qu'il ne s'agisse d'une vulgaire contrefaçon destinée à faire tomber les hommes trop téméraires dans un piège, Veith tenait le bon bout en restant cramponné à cette seule piste.

Finalement, il aboutit sur une zone entièrement dégagée sur un large périmètre, et en profita pour souffler un peu. Il s'était remarquablement bien enfoncé au coeur de l'île; heureusement que la neige avait cessé de tomber, lui offrant une bonne visibilité lui permettant de parer à toute agression par une quelconque créature sauvage en quête de viande rouge. Toutefois, de manière inexplicable, les empreintes s'arrêtaient là, se dirigeant vers un tas de neige fraîche et non souillée. Perplexe, le Zéphyr se gratta la tête. Aucune cachette n'était présente aux alentours, et pourtant, ses yeux ne pouvaient le tromper. Il décida donc de regarder autour de lui, attentif au moindre signal qui lui permettrait de repérer la créature - ou l'auteur du piège, s'il y en avait un...

Un rival. Manquait plus que ça. Evincer la concurrence par le biais d'une méthode aussi déloyale que la falsification d'empreintes était assurément l'oeuvre d'un jaloux ayant vu en lui celui qui pourrait le doubler dans une quête commune. Peut-être l'avait-il repéré depuis déjà longtemps, prenant le temps de l'observer puis le menant à un endroit où l'abattre serait une tâche aisée... Du moins le croyait-il, car Veith n'avait aucune intention de végéter bien sagement alors que la lourde hache du Valkor le menaçait directement. Voyant ce dernier s'extirper d'un fourré et courir vers lui en lui jetant ces quelques mots, il se projeta sur le côté grâce à un mouvement puissant de ses ailes, et pointa le canon de son arme vers lui après en avoir au préalable ôté le cache.

L'homme ne comprit ce qui lui arrivait que lorsque l'oiseau de feu apparut, le fauchant sur place et mettant au passage le feu à son manteau. Hurlant et vociférant, il sauta à plat ventre dans la neige, s'y roulant jusqu'à étouffer l'incendie naissant. Puis il se releva après avoir ôté son manteau à demi carbonisé, d'un air triomphant. Veith leva un sourcil, et tira une seconde fois, forçant à nouveau le Valkor à servir de bougie improvisée. Cette fois, il n'eut d'autre choix que d'ôter son épaisse chemise et de se rouler une nouvelle fois dans la neige, torse nu, tout en lançant une flopée d'injures à son adversaire qui commençait à avoir envie d'éclater de rire. Pour faire bonne mesure, il n'attendit pas que l'homme à la hache se relève avant de faire feu une troisième fois; les flammes naquirent au bout de sa barbe foisonnante, lui arrachant un hurlement perçant. Sans demander son reste, il détala, à moitié nu dans la neige et par une température négative. Il n'irait probablement pas bien loin.

Avec tout cela, le temps que Veith avait perdu à chercher un Molok fictif était considérable. Il ne lui restait plus qu'à rebrousser chemin et remettre son expédition à un autre jour; pas par envie, mais par nécessité s'il désirait ne pas rester coincé ici trop longtemps.