[Quête]Mieux vaut tard que jamais[Arsiesys]

Tout s'était déroulé bien simplement, après notre petite pause Fenrylesque. Cela nous avait encore une fois permis de nous échauffer, ce qui n'était pas une mauvaise chose, étant donné que l'on ne savait pas du tout à quoi s'attendre. Mine de rien, tout cela n'avait ni queue ni tête. Si seulement je n'avais pas entendu ce nom, j'aurai peut être laissé couler l'affaire.

Erik. Ce bon vieux Erik. Pas possible, ça semblait faux, bancale. Déjà, comment ce petit aurait pu faire partie de l'armée régulière, éclaireur en plus? Lorsque je l'avais connu, le temps que je survive un peu dans les rues de Ragnarok, c'était un gamin des rues, un petit bonhomme dont la seule occupation consistait à faire la manche en prétextant une jambe en moins, jambe qui se trouvait bien évidemment bien planquée sous ses haillons crasseux, grâce à sa souplesse qui me laissait toujours pantois. J'avais eu du mal à lui dire au revoir, le jour où je suis partit pour ce harponneur, c'est d'ailleurs pour ça que je ne l'ai pas fait, fuyant lâchement, sans savoir ce que le type était devenu. Pas dans mes habitudes, hein? Oui mais, je crois que j'avais tellement honte, que penser un instant qu'il n'était plus de ce monde m'aurait tué sur place. Maintenant, avec ce nom qui ressurgissait d'un passé que j'avais bien enfoui sous la neige, j'avais les tripes aussi nouées qu'un rassemblement de serpents. je n'avais pas osé en parler à mon compagnon, déjà parce que cette histoire ne regardait que moi, et puis pour ne pas me dévoiler plus. Mon maitre m'avait dit un jour que des amis restaient une faiblesse quand on arpentait un chemin semé de personnes voulant notre mort. J'avais crû pouvoir tenir face à cela, prenant mes dispositions, mais je me rendais compte maintenant que quoiqu'il pouvait se passer dans ma vie, je ne restait qu'un homme, vulnérable comme tout le monde, peut importe le blindage que je pouvais me mettre.

Bien plus tard, après un petit moment à tourner pour trouver un coin où nous balancer, nous foulâmes enfin la neige vierge de Walhalla. Tout cela avait pris bien du temps, le Capitaine ne voulant pas risquer de se prendre dans les immenses conifères parsemant la falaise limitant l'île. J'avais d'ailleurs sous entendu que s'il n'arrivait pas à trouver un terrain propice à nous lâcher, j'allai me servir de lui comme ancre humaine, en espérant qu'il trouve un arbre où s'accrocher...Mais bon, c'était réglé, bien que le fait de tourner partout nous avait rendu aussi repérable qu'un Borick avec une cible accrochée dans le dos.

L'odeur rance et corsée de l'animal mort emplissait encore les narines de l'historien, alors qu'il humait la fraicheur de l'oxygène disponible. Sa respiration avait bien du mal à trouver sa pleine mesure, avec l'altitude mêlée du froid hivernal permanent ici. À se demander comment on ne tombait pas sur des humains, quelle que soit leur culture, transformés en glaçons à tous les coins de rue. Du genre gros bloc de glace industriel. Si d'autres en avaient réchappé jusqu'alors, ce n'était toutefois par leur cas à eux deux; si leur installation commençait tout juste à dater, encore fallait-il finir de s'habituer au climat local. Ce qui se faisait en général à grandes rasades d'alcool dans le gosier pour se donner un coup de fouet digne de ce nom. Comme on aurait pu le penser à sa faible constitution, Arsiesys était celui qui avait le plus besoin de dilapider les réserves éthyliques pour continuer de tenir debout en toutes circonstances. Le hasard avait également fait, et heureusement, qu'il s'agisse probablement de celui qui tienne le mieux les différents breuvages de cet acabit obtensibles dans la région, ou dans les autres. Si son corps n'était pas le plus robuste en terme d'endurance physique pure, il se rattrapait largement sur ce plan, aussi curieux que cela puisse paraître.

Seulement, se fier à sa tolérance habituelle n'était pas le mieux à faire, le manque de sommeil flagrant dont il souffrait affaiblissant considérablement la quantité qu'il pouvait ingurgiter avant de finir étalé sur le parquet. Car oui, jamais d'autre manifestation de l'excès ne se présentait chez lui, si ce n'est des crises narcoleptiques foudroyantes. C'était toujours préférables aux hallucinations et autres fourbes révoltes intestinales, mais ce n'était pas non plus des plus seyant dans toutes les situations. Dans la chaleur et le confort d'un foyer occupé entre amis, cela ne pouvait déranger plus que par le fait de devoir le trainer jusqu'à sa couche, mais en pleine nature, soumis à une hostilité pouvant provenir de toutes parts de par l'inconnue qu'était la géographie des lieux et les composantes de leur bestiaire... C'était en tout cas un détail auquel les deux compagnons auraient du songer avant que l'homme de lettres ne déclare s'hydrater à grands renforts d'hydromel du pays, plus fort que la moyenne justement à cette fin, soit le contenu de la flasque salvatrice emportée parmi ses affaires pour ce voyage mouvementé. Rien de bien préoccupant n'avait encore transpiré de cette solution réchauffante de fortune jusque là, mais le métisse ne perdait certainement rien pour attendre avant que les conséquences de cette ingurgitation forcée de boisson ne se fassent sentir.

La première constatation était qu'à mesure de la traversée, le vent se mit à souffler de plus en plus fort à mesure que le point d'arrivée entrait dans leur champ de vision. À croire que les bourrasques étaient une mise en garde quand à ce qui les attendait une fois posés sur la terre - ou neige - ferme - ou pas - du Walhalla. Ce n'était que secondaire pour le jeune homme aux cheveux bleus, ayant déjà du faire face à pire dans le désert, mais tout de même. Ce qui différait principalement étant évidemment la température du souffle. Entre sirocco et blizzard, la comparaison est vite faite. Remis sur pied une fois de plus par sa quatrième lampée d'eau de feu de la journée, il s'autorisa à un frémissement de bien-être, envahi par un brasier qui ne s'éterniserait pas. Mais savoir qu'il durerait un temps était déjà bien assez réconfortant que pour faire du bien à son moral amorti par les conditions naturelles, même si ce n'était l'affaire que d'une poignée de minutes qui passeraient trop vite. Un léger rosissement lui grimpa aux joues, tout aussi passager, alors qu'il se reconcentrait sur la ligne d'horizon encore dissipée par une brume opaque.

Ledit « gamin » sursauta du haut de ses vingt-huit ans quand le vieillard les transportant l'apostropha par cette exacte phrase, mot pour mot. Contemplatif, il ne s'attendait non seulement pas à se voir adresser la parole tout à coup, et sûrement pas en ces termes, surtout que l'appelation enfantine utilisée à son égard ne l'avait plus été depuis des lunes. Confus, un geste négligent écarta ses mèches saphirines du visage de l'ancêtre, toujours engoncé sous ce casque fantaisiste aux épaisses lunettes. Un léger sourire aux lèvres, l'archer répondit d'une voix légère, tout aussi amusé que cela l'embarrassait d'avoir à subir ce type de remarque.

C'était en effet véridique. Le relief indistinct de ce paysage avait tout pour lui rappeler quelque chose, mais quoi ? Une bribe de sa mémoire le démangeait depuis que le dessin des formes de l'île visée apparaissaient au loin. Quand à savoir laquelle, c'était une toute autre paire de manche. Mais la sensation était là, et soulignait qu'il avait déjà vu cela quelque part. Savoir où attendrait, ils avaient d'autres priorités et cela pouvait très bien être une simple distraction, et n'avoir aucun rapport avec quoi que ce soit. S'il y en avait un, de toute façon, il lui était impossible de relever lequel par magie - bien que cela eut été rudement pratique dans bien des cas et pour une foule de personnes - et ne pourrait qu'attendre que le lien à dépoussiérer lui tombe droit dans les bras. C'était idiot, mais il ne pouvait faire autrement. Se retournant vers Stilgard, il se contenta d'acquiescer, encore perdu dans ses pensées suite à cette potentielle découverte. Aucune certitude n'y prenait part, mais quand quelque chose butait de la sorte contre la porte de son âme, cela avait une fâcheuse tendance à l'obnubiler et à monopoliser son attention la plus appuyée.

Et ce, que cela lui plaise ou non. Alors que le métisse procédait par élimination en voulant à tout prix mettre la main sur la cause de ce phénomène de déjà vu plus qu'irritant, il ne se rendit compte réellement de leur débarquement qu'en voyant son ami valkor bondir sur le sol enneigé de l'endroit. Réveillé pour de bon en s'efforçant de tout son être de refouler ces perceptions incomplètes, il lui emboita le pas après avoir remercié promptement leur pilote, visiblement assez peu appréciateur du langage utilisé par le voleur pour faire comprendre la nécessité de trouver un point d'atterrissage de qualité. Cela dit, le langage mis à contribution pour l'allusion avait de quoi plaire, bien que mettant en lumière la moyenne de tact du personnage. Pas bien méchant. Tant que cela n'empêchait pas l'ancien de revenir les embarquer une fois la promenade terminée. S'étirant avec une élégance qui lui est propre, étouffant un bâillement, Arsiesys gardait l'impression d'être tiré à l'instant d'une bonne et longue sieste.

Cela n'était pas plus mal, puisque le reposant constamment, ses réflexes n'étant pas affectés par cette fixation psychique. Dodelinant de la tête pour assurer l'état de sa nuque en partie endolorie, il s'enfonça en compagnie de son camarade dans les terres riches en mystères de ce site peu adéquat aux vacances en tous genres. Il fallait avouer que rien de très rassurant ne se dégageait de cet endroit mal entretenu, respirant une sauvagerie inexplorée. Leur seul espoir était de ne pas avoir à trop s'y attarder avant de retrouver le doux foyer les attendant à leur retour. Jetant de furtifs coups d'oeil dans toutes les directions à chaque bifurcation, chaque nouveau chemin emprunté, sans mot dire sur ses doutes, le mage finit par reporter son attention sur le dos de son acolyte. Pour le coup, celui-ci faisait office d'éclaireur sans que cela n'ait été discuté, et ce n'était pas plus mal. Cela leur permettrait de garder la formation tant travaillée par la force des choses en cas d'attaque. Précaution avant tout.

Bon, c'était pas le pays des toupoutous. Ouais, en fait, c'était comme si le monde avait conspiré pour faire de cet endroit un parc protégé dédié à l'aventure et au danger.Donc cap sur Aventureland! Seulement, à vrai dire, je ne savais pas du tout ce qui nous attendait. D'ailleurs, mon compagnon s'interrogeait lui aussi sur le pourquoi et le comment de notre destination, me faisant très justement remarquer que la patrouille qui s'était rendue en ces lieux était sans doute parmi les racines, à alimenter les arbres crochus qui tendaient leurs pattes au dessus de nos têtes. Ouais, peut être, je devais m'y faire, de toute façon. Mais ça restait à voir, même si j'étais pessimiste par nature.

Tandis que je disais cela, je continuais d'avancer dans la neige épaisse, bien conscient que tout cela sentait le pâté à plein nez. D'ailleurs, je ressentais de plus en plus de réticence quand à la finalité de notre expédition. La seule chose me motivant encore était de savoir si effectivement une patrouille contenant mon ancien ami des rues était allée sur les lieux, et si il lui était arrivé quelque chose. Et si c'était le cas, bah, j'aurais une raison de jouer les patriotes. Le reste importait peu, la nation, l'identité, je m'en foutais royalement. J'allais d'ailleurs me décider à en parler à mon cactus bleu préféré lorsqu'une chose attira mon attention, un vieux truc qui me revint en mémoire, tandis que loin au dessus de nous, les charognards tournaient en cercle. Ce genre de bestiole ne s'amusaient pas à venir quérir leur nourriture, du moins pas à cette heure de la journée, et dans ces conditions climatiques. Ces saloperies savaient pertinemment qu'une descente signifiait pour elle une mise à portée des prédateurs qui n'attendaient que ça pour venir les bouffer à leur tour...monde cruel, mais au combien informatif. Si les bestioles prenaient la peine d'attendre, le danger devait être quasi nul, voir s'être éloigné. Un peu bateau comme piste, mais ça valait le coup d'aller voir.

Puis, s'élançant entre les fourrés et arbres morts, au milieu de toute cette neige malsaine, nous débouchâmes sur une petite clairière, avec comme charmant cadre des tentes éventrées, des corps partout, et au milieu de tout ce bordel, deux types en train d'amasser un tas de cadavre, posément. Genre, imaginez la scène, ces deux gars en train de foutre les types morts comme on met du bois sur le feu, ça me foutait les glandes, littéralement. Je prenais la parole, chuchotant à mon coéquipier.

Que dire? Un geste con, vengeur, mais con quand même. Foncer dans le tas. Jamais mon genre, d'habitude. Mais là, trop tentant. J'avais déjà sortit mon arbalète du manteau, tandis que mon compagnon arrosait copieusement la scène, à grand renfort de traits magiques. Pour l'instant je ne voulais aucune explication, juste du sang. Malheureusement pour moi, les types avaient l'air bon, brassant l'air de deux bâtons, ce qui leur permis de se mettre hors de portée de mes tirs, même si l'un n'eut pas la même chance avec ceux d'Arsiesys. Le temps de recharger, tout en faisant écran de ma dague, et j'y retournait. Le combat s'était lancé sans bruit, avec une rapidité déconcertante, comme si chaque combattant de cette escarmouche irréelle était prêt depuis des lustres pour ce affrontement. Ils allaient payer, oh ça oui.

Le monde les entourant n'avait rien d'une cour de récréation, et les deux aventuriers jetés dans ce trou perdu se devaient de ne pas laisser cette pensée s'écarter de leurs esprits. Faire preuve d'imprudence, et ne pas être en alerte, seraient deux raisons pouvant mener à une perte certaine. D'après l'état de nerfs et mental de son compagnon, autant dire immédiatement qu'Arsiesys avait du souci à se faire, dans la mesure où l'idéal serait de garantir que l'un comme l'autre, ils s'en sortiraient sain et sauf. Le plus important, en attendant d'en savoir plus pour cerner exactement jusqu'où les nouvelles reçues emmenaient à la dérive l'esprit de Stilgard, restait de tenir le gaillard à l'oeil. Et pour cela, être soi-même parfaitement lucide et réactif était la moindre des choses. C'est pourquoi l'archer avait tiré à nouveau le récipient d'alcool de l'une de ses quantités de poches intérieures pour s'en hydrater le système digestif, envahi aussitôt par une chaleur presque brûlante. Chaque nouvelle gorgée semblait gagner en température une fois ingérée.

Ou en tout cas, même si cette évaluation de rythme n'était pas exactement révélatrice, il était au moins persuadé que cela avait enflé depuis tout à l'heure. Bientôt, boire risquait de déclencher un foyer d'incendie dans ses entrailles, si cela continuait. Déglutissant avec difficulté pour faire passer ce nouveau coup de fouet, déjà nettement moins digeste que les précédents, il manqua de s'étrangler et dut frapper son buste du poing pour se rétablir, pris d'une quinte de toux grasse. Ce genre de consommation n'avait jamais été son fort, mais c'était un mal nécessaire. Savoir quand arrêter son compagnon, si ce devait être le cas, mais ne pouvoir le faire à cause de ses engelures et autres phalanges engourdies, ce ne serait pas de grande utilité. Au moins, la froide colère de son comparse en fit voir une toute autre facette à Arsiesys : celle d'un spécialiste du pistage, doué pour ce qui est des trucs et astuces à connaître en forêt. Un vrai trappeur amateur. Ce n'est pas tous les jours qu'il le verrait déployer ces prouesses de science de la chasse, ou d'un domaine différent, et il se contenta de saluer de sa reconnaissance le talent manifeste mis dans ces ressources inespérées.

Tant est-il que le danger vint moins vite qu'il ne l'aurait cru, mais que le palier atteint par les deux bougres représentant son parti paliait largement à l'espace de cette attente. Il n'y avait qu'à voir le charnier tartinant le sol, à la façon dont un individu lambda recouvre les tartines de son petit déjeuner après un réveil tonique. À ceci près que toutes les pâtes et confitures imaginables pouvant revêtir le pain, soit présentement la neige, s'étaient vues substituer par une toute autre texture rougeâtre poisseuse : celle du sang. L'odeur ferreuse emplissant l'atmosphère manqua de faire tourner la tête au mage, qui se figea sur le coup, portant une main à sa tempe. Quel genre de monstre pouvait donc empiler les cadavres comme ceci, sans ressentir de troubles, qu'ils soient psychologiques ou sensitifs ? N'aimant pas la seule perspective de prendre une vie, voir cette hécatombe partout sous ses yeux où qu'il dirige son regard était plus qu'il n'en faut pour lui faire perdre les pédales, étant déjà entamé par son absorption de liquides pour adultes.

Toutefois, en l'occurence, il est question d'une crise de perte de contrôle orientée dans la furie. Si son raisonnement était étouffé par une gangue de coton, cela n'infligeait en rien d'affect à ses facultés de combat. Pour le moment. Sans laisser la moindre ouverture, question de ne pas laisser ces dangereux malades mentaux faire plus de casse et de victimes, il leva vers eux la ligne de mire de son instrument de tir et fit voler dans leur direction un trio de flèches, agencées en triangle. Du plus bel effet si elles venaient à se planter simultanément. Toutes touchent, la dernière tue. Hélas, il n'en fut rien. Pire, une seule percuta sa cible, et celle-ci, de même que son acolyte, garda toute sa fougue pour maintenir la vélocité de sa course jusqu'au tandem du Divum Legi. Visiblement, non content de leurs compteurs respectifs, ils ne comptaient pas en rester là de leur concours du recordman du nombre de meurtres en un laps de temps donné.

Et par déduction logique, ce qu'ils voyaient devant eux n'était à leurs yeux qu'un binôme de points supplémentaires à ajouter à l'un de leurs scores. Se départager ne devait pas être une mince affaire, pour qu'ils se jettent de la sorte sur les premiers promeneurs venus comme des charognards assoiffés de sang. Oui, c'était tout à fait cela : ils ne valaient pas mieux que les volatiles dont le pickpocket trônant à ses côtés s'était servi pour retrouver la trace des serial killers. Qu'importe. La garde meurt mais ne se rend pas. D'autant que le Sidereus, bien qu'aux portes d'un état second en plein éveil, n'avait aucun mal à constater que s'en tirer indemne après avoir juste pris une rouste n'était pas négociable d'après les moeurs de leurs adversaires. Quitte à y rester, l'enchanteur dut se résoudre à jeter toutes ses forces dans la bataille; si au moins ils réussissaient à les emporter dans la tombe en leur compagnie, son complice partirait l'esprit tranquille. Au cas où cela tournerait on ne peut plus mal. Même si c'était une hypothèse de plus en plus écrasante à mesure que les types se rapprochaient.

Qui eut cru qu'on pouvait se montrer si menaçant en ne s'armant que d'un vulgaire bâton ?

Merdouille. Ces types étaient de vrais lions. Rien qu'avec des bâtons, ils parvenaient à nous tenir en échec, tous les deux. Autant dire que ça sentait le traquenard, façon purge dans la forêt. D'ailleurs, à y bien réfléchir, ces types semblaient bien trop entrainés, trop affutés, comme si le fait de nous combattre n'était pour eux qu'une distraction. On me la fait pas à moi, et j'étais plutôt doué pour observer les gens et leurs déplacement, leur gestuelle corporelle. Ces deux là ne laissaient rien au hasard, chaque mouvement étant parfaitement étudié pour économiser l'énergie et rentabiliser l'action. Bref, même si on était pas des quiches, on avait fort à faire, pour le coup.

Heureusement pour nous, nous nous en tenions à notre tactique favorite, à savoir moi faisant l'épouvantail, pendant que mon sniper aux cheveux bleus cartonnait le premier des attaquants, qui paraissait en deçà de son acolyte. Lui d'ailleurs, prit un malin plaisir à m'assener un coup de son bambou, que je parais de ma dague mais qui me laissa tout engourdi un moment, incapable d'avancer, bien malgré moi. De son côté, Arsyesis continua son pilonnage du petit assaillant, le clouant sur place lui aussi, à grand renfort de flèches magiques en tout genre. Si je n'avais pas eu plus fort adversaire en face de moi, qui requérait mon attention à chaque instant, je me serai bien arrêté pour suivre la punition, et applaudir un peu. Le type, sentant le déclin de son compagnon, parvint même à faire un bond pour venir finir la course de son bâton sur le corps de l'archer magique. Ça commençait vraiment à sentir le pâté, même si la colère me maintenait en forme, pour l'instant.

Les types s'étaient éloignés, se mettant hors de portée d'une éventuelle contre attaque. On en était rendus à se regarder en chien de faïence, jaugeant les éventuelles failles des uns et des autres. Bon sang, quelle rencontre!

Bon, je pigeais rien, et puis le jeune avait cessé de parler, interrompu par son aîné. Un rite de passage? Bizarres, ces types étaient vraiment bizarres. En tout les cas, s'il avait voulu se faire du Valkor, il en avait eu pour ses frais, avec cette patrouille. C'était à nous de lui rendre la pareille.

Du coup de bambou dans toute sa splendeur, au propre comme au figuré. Comme si se faire tenir la dragée haute ne suffisait pas, il fallait en plus que ces barbares aient les moyens de rendre les coups sans avoir honte de la riposte. Et quelle riposte ! Lorsque la tige travaillée heurta son visage de plein fouet, Arsiesys vit trente-six chandelles, presque aussi secoué que lorsqu'il était tombé au-travers de la mer des nuages pour finir par s'écraser sur le pont d'un autre navire à plusieurs dizaines de mètres en dessous. Ainsi, en plus d'avoir la peau dure, leurs carrures sculpturales n'étaient pas que le résultat d'une gonflette effectuée dans un but purement décoratif. La lèvre fendue, il s'estima tout de même heureux de ne pas en garder plus de stigmates, s'étant reculé juste à temps pour que son menton réchappe à la frappe montante. À coup sûr, sans ce début de feinte, sa mâchoire ne l'autoriserait plus à étouffer une exclamation douloureuse, à présent. Sans parler de sa dentition... Reprenant partiellement ses esprits embrumés par une consommation mal dosée d'alcool, il dégagea ses mèches d'un geste rageur de la main, prêt à y retourner aussitôt.

Les montagnes de corps n'avaient pas perdu la vie seules, c'était dorénavant une certitude, et l'archer pouvait être heureux d'avoir plus de ressources que les malheureux réduits à l'état d'ornements d'extérieur. La douleur était cuisante, mais cela ne l'empêcha pas d'esquisser un sourire. Sur tout le laps de temps nécessité par ce boucher plein de sympathie pour porter un estoc, Arsiesys avait eu à loisir de le transformer en hérisson à grands renforts de tir. Beaucoup n'avaient pas passé une peau anormalement tannée, mais cela n'empêcherait pas de mettre du coeur à l'ouvrage. Il se passa la main restée libre sur la bouche pour purger son visage de l'afflux continu de liquide rouge et fit mine de s'ébrouer faiblement, afin de bénéficier de toute la mesure de son adresse. On ne rigolait plus, maintenant. Les desseins de ces individus étaient à clarifier plutôt deux fois qu'une, et les propos tenus en réponse aux demandes d'explication de son ami mirent sa clairvoyance sur une piste. Rite ? Cela ne pouvait qu'être représentatif de l'appartenance à une communauté sectaire, ou quelque chose de ce genre. D'après ses connaissances des différents existants, cela l'amena directement à une série d'hypothèses, procédant par élimination pour tenter d'en isoler un d'après les différents critères extraits de son observation.

Entrer dans le vif du sujet de but en blanc par cette demande impromptue n'attirerait pas forcément les éclaircissements voulus. Ces énergumènes ne lui devaient absolument rien. Seulement, d'après les réactions qu'ils auraient à cette interjection, départager le vrai du faux ne serait pas bien compliqué. Un petit tour qu'on lui avait appris voilà longtemps pour savoir quand quelqu'un ment, qu'il avait peaufiné à outrance pour obtenir plus facilement des réponses. Dans son travail, ce ne peut être qu'un atout. Un des nombreux secrets du mage, en résumé. Combien d'autres se terraient encore derrière ce sourire énigmatique et cette ample bure, au port trop constant que pour être anodin ? Allez savoir...

Néphilim? Je croyais bel et bien que cette histoire n'était qu'un fond de choppe comme on les appelait, une invention d'ivrogne en mal d'attention, qui voulait juste qu'on l'écoute pour pas mourir tout seul, dans son jus. Et voilà que notre historien à la tête de cactus jetait la référence, comme ça. Bon, ça avait fait réagir les types, on aurait dit. En fait, ça avait juste contracté leur mâchoire, un peu plus. On devait être les méchants infidèles, pour ça qu'on comprenait pas.

J'étais un chouilla énervé, certes. En même temps, j'étais pas sûr d'avoir mon ancien pote dans le tas de cadavre, alors bon. Nan, c'était juste que j'avais enfin un moyen d'expulser toute cette frustration et cette hargne que je tenais depuis le début du séjour, alors j'allais pas me gêner, tempêter tout mon soul. Enfin, je dis ça, mais le chef des deux types profita de mon discours pour venir me cueillir dans le ventre avec son arme, me faisant reculer sous le coup, mais permettant ainsi à mon pote Arsy d'avoir un angle d'attaque, qu'il utilisa avec brio pour finir le travail sur le petiot. Voilà, lui, il était au coin, avec un beau bonnet d'âne tout épineux. Quand on pense que tout cela avait un impact patriotique...j'en ai encore la nausée, tiens. Mais passons, l'heure était au coup de bâton, et au règlement par poignard interposés. D'ailleurs, je n'étais pas en reste avec ma dague, lardant l'arme du maitre Nephilim de coups répétés, avant d'opérer une passe qui, pour moi, reste encore dans les annales. Figurez vous que, peut être grâce à une inspiration quasi divine, j'avais eu l'idée saugrenue de lancer mon arme en l'air, en même temps que l'autre opérait un coup circulaire de son bâton. Me baissant prestement pour éviter l'arme, je passais sous la garde de mon adversaire, avant de placer ma main droite devant son visage, en un geste de toute beauté, genre écrase face façon poulpe. Puis récupérant mon arme dans le dos, avec ma main gauche, je lui faisais un petit retourné, façon scie circulaire. Et en plus, pas avec ma main d'attaque, hein! Ouais bon, je me la joue peut être encore un peu, mais c'était tellement beau, à pleurer. je suis même sûr que le cactus bleu l'a notée dans ces annales, cette technique là, tant elle sentait bon l'épique. Mais le plus beau venait après, puisque justement mon acolyte en mit lui aussi une couche, cueillant l'homme au vol, tandis que moi je profitais de son geste pour tenter un ascendant de ma dague, qui creusa un autre tracé vermillon sur le poitrail du type. Bingo.

L'autre repoussa de son arme, conscient qu'il était cuit. Je me râblais sur moi même, prêt à repasser à l'assaut, telle une panthère...euh...plutôt tel un fauve, un cougar, un truc dans le genre quoi. Bref, dans un souffle, je m'adressais une dernière fois. Comme dans les sagas, je vous dis.

Note: ne jamais énerver un guerrier expérimenté. Ou alors le faire, mais être sûr de s'en sortir. Sinon vous finissez immanquablement avec une petite goutte qui traine au fond de vos chausses. Bref, le type s'était rué sur moi, le visage rageur. Bon fallait l'avouer, heureusement qu'il était avec un apprenti, à la base, sinon j'aurais moins fait le malin. Et quand le combattant se retrouva sur moi, utilisant tout son art pour tenter de me toucher, ce fut comme si je revenait à l'entrainement. Ouais, j'avais oublié cette sensation, celle de combattre hors de ses limites, avec le monde qui bascule soudainement, comme si on passait à un autre état de conscience, dans l'instant. Bref, je ne sais plus trop par quel moyen, mais je me retrouvais à sauter sur ce type, lui enfonçant mon arme dans le bide, avant de pivoter et de l'envoyer droit sur mon compagnon, qui l'acheva d'une superbe frappe dans le dos, pile sur la colonne. Bon boulot. Épique, j'avais dit. Lé-gen-dai-re.

M'approchant lentement du tas de cadavres, j'entrepris de pousser un à un les corps, pour les identifier. Certains n'avaient plus vraiment de visage, en fait, et c'était pas franchement aisé. Mais, au final, soulagement, aucune trace de mon ami. Alors plusieurs hypothèses s'offraient à moi: 1) il était mort, ailleurs 2) il était pas venu 3) il était pas mort, et se planquait quelque par et enfin, mais je n'osais y penser, tant ça me paraissait débile 4) il s'était allié à la secte, et était partit pour un quelconque endroit étudier l'art de tuer. C'est con, hein? L'imagination n'avait aucune limite. j'aurais bien pu tenter le 6) les deux types que l'on avait abordé à la taverne étaient des crétins profonds, mais j'en était quasiment sûr, donc ça ne relevait plus de l'hypothèse. Restait plus qu'à retourner à la "civilisation".

Ils en avaient fini sans trop en pâtir alors que leurs adversaires étaient d'un niveau somme toute assez inouï pour des gens aussi « ordinaires » que pouvaient l'être les deux membres du Divum Legi. Au cœur de l'action, leur synchronisation avait une fois de plus fait des merveilles en leur permettant d'accorder leurs violons pour transformer les fauteurs de troubles en passoires de chair exagérément passée à l'attendrisseur. Pour ce qui est des tours de magie, Arsiesys s'y connaissait, et ces corps s'ajoutant à ceux de leurs victimes déjà superposés en une tour instable l'attestaient. Nul n'a le droit d'aspirer à prendre la vie d'autrui sans mettre la sienne en jeu en parallèle, et ils venaient d'apprendre à leurs dépends cette vérité universelle qui pourrait dès lors les hanter pour l'éternité de rédemption à venir. Ces brebis galeuses se souviendraient dans l'au-delà qu'aucun rite, aucun culte, aucune croyance ne justifie de faire passer quelqu'un de vie à trépas de son propre chef, encore moins quand il s'agit de malheureux n'ayant aucunement mérité ce traitement de mouton sacrificiel. Outre venger la fin tragique de ces quidams assassinés sur l'autel d'une foi occulte, nulle action ne pouvait être entreprise pour ramener à la vie ces malheureuses victimes injustement éliminée au nom d'une de ces pratiques déviantes.

Soupirant à la vue de ce champ de corps gisant en un amas laissé à découvert, l'homme de lettres s'en détourna pour détailler les tenues des deux défunts qu'ils venaient de faire en représailles, réduisant le nombre de partisans de ce nouvel ordre religieux aux méthodes hautement discutables. Apprendre à les identifier et en connaître davantage sur eux ne pouvait qu'aider dans leur traque et leur suppression à long terme, une tâche que la guilde pourrait bien accepter si leurs exactions prenaient l'ampleur requise que pour que tous se mobilisent afin d'y mettre un terme. Seuls, lui et Stilgard ne pouvaient que se livrer à ce genre d'escarmouche, et encore : il n'y avait qu'à voir la résistance effarante qu'avaient opposé ces moines guerriers à leur tandem pourtant reconnu pour son efficience hors-normes. Si leur enrôlement insensé prêtait à la plaisanterie, leurs compétences n'étaient pas dans le même cas. Une fois la rixe débutée, c'étaient loin d'être des plaisantins, expérience en était maintenant faite – même si c'était un coup d'essai contre ce type d'adversaire et que cela pourrait les aider si d'autres venaient d'aventure à croiser leurs routes lors d'une déambulation quelconque. S'ils avaient été tenus en haleine jusqu'au bout, c'était tout de même l'équipe soudée qui l'avait emporté, triomphante... Mais à quel prix ?

Les chances pour être tombés du premier coup sur des éminences de leur organisation d'illuminés étaient faibles, et s'ils en rencontraient d'autres au détour du chemin, s'en sortir en aussi bon état restait improbable au cas où il s'agirait cette fois d'un vétéran. Les rues ne sont pas sûres, quand rôdent de pareils dangers publics... Veiller à la sécurité de leurs contemporains serait une tâche de plus pour leur groupe, et aurait une fois de plus pour effet de faire croître leur renommée en tant que défenseurs de la veuve et de l'orphelin... Cette notoriété ne pouvait que leur profiter, même si ce n'était évidemment pas le but premier de l'archer en songeant à cette assistance aux villageois démunis face à une telle menace. Il va de soi que l'historien ne s'attendait pas à mettre la main sur un mode d'emploi des Nephilims pour débutant ou tout autre document d'importance capitale qui révélerait tout ce qu'il y a à savoir sur ces fidèles sanguinaires. Leur style vestimentaire épuré était déjà un signe distinctif, une bonne référence pour deviner qui pouvait être des leurs si tant est qu'ils ne soient pas libre de se vêtir comme bon leur semble. Ce serait une information à vérifier, mais cela n'empêcha pas le natif d'Arkady d'en prendre bonne note. Et ce au propre comme au figuré, puisqu'il avait extrait d'un pan de sa cape plume et papier afin de répertorier les différents points qu'il pouvait dénoter et qu'il serait intéressant d'explorer plus avant pour en savoir plus.

La page remplie des détails pouvant éventuellement servir, il rangea son petit matériel pour se redresser ensuite, pile alors que Stilgard finissait son travail d'inspecteur des travaux finis version croque-mort de son côté et s'en tirait visiblement à bon compte, pour ce qui est de ne pas avoir trouvé son vieil ami. Plongé dans ses pensées, le mage ne put que se dire qu'enrayer cette menace promptement était vital pour la sécurité du continent entier avant de laisser son compagnon arriver à sa hauteur. Et si le mouvement s'était déjà propagé au monde entier ? Cela prêtait à réfléchir, et occuperait son esprit au moins jusqu'à ce qu'ils soient rentrés, au grand dam de Stilgard qui s'attendait certainement à une conversation sur ce thème. En discuter à deux aurait certainement pu porter ses fruits aussi à plusieurs niveaux, mais il préférait cogiter dans son coin avant de faire part de ses analyses. Se parant d'un léger sourire pour camoufler ses doutes et inquiétude derrière son air affable de toujours, il s'adressa à son Valkor d'acolyte d'un ton faussement enjoué.