Lutte sur neige |Casey|

Une nouvelle journée, monotone, dans cet enfer de glace. Rien de plus normal. Quoique ce jour, à contrario de ses homologues, comportait un changement de taille. À contre-courant des habitudes, c'était Arsiesys qui allait au combat, lassé de devoir continuellement laisser tomber sur le coin de son doux minois les envies de se défouler des premiers pékins venus. En somme, rien de bien élaboré; afin de peaufiner ses aptitudes à l'arc pourtant déjà plus que pointues, n'importe qui passant à portée et sachant se servir d'une arme devenait un mannequin de test potentiel. Cependant, à force de faire des exercices de chaque esclandre, sa force était devenue grande : le premier manuel venu, même en manipulant jour après jour sa hache à couper le bois, n'avait aucune chance face à lui. La plupart de ses essais d'entrainements furent donc infructueux, n'aboutissant qu'à de piètres prestations bien vite évincées dans l'ennui total. Pour être émoustillé, il faudrait repasser. Ce n'était pas faute d'avoir persisté face à l'adversité de ce manque d'effectifs compétents; rien n'y faisait, strictement rien. Pour développer ses facultés et être plus apte encore à agir en cas de pépins et coups durs en tous genres, seul un adversaire de son niveau représenterait une marche viable vers d'autres sommets.

Or, ce niveau ne pouvait se trouver qu'en piochant parmi ses collaborateurs du Divum Legi. C'est ce qui avait fini par le pousser à quémander auprès de Casey un duel d'échauffement, sans enjeu ni spécification. Une lutte on ne peut plus sommaire avec pour seul but d'entretenir leurs réflexes, sans arrières-pensées. Pourquoi l'argonate ? La réponse était élémentaire : parce que c'était le premier à s'être réveillé, soit pile au moment où l'historien rentrait de ses essais dépourvus d'intérêt. Si ce n'est pas ce qu'on appelle tomber à pic... Un très large cercle avait été tracé dans la neige à la pointe d'une branche brisée afin de délimiter l'aire de jeu à une vingtaine de mètres d'envergure. Plus qu'il n'en faut. Cependant, de par la nature de son armement, mieux valait voir large pour ne pas se retrouver coincé. Cela ne faisait que donner une allure autrement plus officielle à une petite partie d'amusement destinée à dérouiller les troupes, puisque celles-ci prenaient légèrement racine depuis leur « déménagement » dans ces contrées. Emmitoufl » dans sa bure habituelle, débarrassé des poids obsolètes, l'archer de mana n'attendait qu'une chose; que son adversaire fasse le premier pas pour ouvrir le bal en bonne et due forme. Équipement à la main, c'est le sourire aux lèvres qu'il s'adressa à son vis-à-vis une fois les ultimes préparatifs menés à bon terme.

De tous les membres de Legi, je fus le premier à avoir daigné sortir du lit ce matin. Et à vrai dire, c'était régulièrement moi le premier à être éveillé et à venir saluer le serveur de notre auberge. Il me passa un bon verre de lait de Midgard que je bus avec plaisir. Tout en buvant cette «boisson», je pensais à plusieurs choses. Voilà déjà un bon petit moment que nous nous étions installés à Midgard et que nous commencions à bien connaître le coin. Malheureusement, tôt ou tard, nous serons forcé de nous déplacer à nouveau, afin de commencer à faire connaître notre guilde à travers Syren pour que notre but puisse être réalisé avec succès. Quand j'avais terminé enfin mon petit déjeuner, je suis retourné dans ma chambre afin de finir de me préparer. Au programme: douche, coiffure, habillement, prise de mes armes et de mon argent puis retour à une table de l'auberge. Puis, je me suis posé sur une chaise et j'ai attendu, tranquillement. Une autre personne ne tarda guère à me rejoindre: l'historien Valkor dénommé Arsiesys, lui aussi membre du Divum Legi. A peine avait-il finit de descendre les escaliers qu'il me fit une étrange demande: il voulait m'affronter. Je l'ai regardé avec un air surpris jusqu'à ce qu'il m'explique qu'il souhaitait cette rixe dans l'unique but de s'entraîner. Là, je fus rassuré: après tout, je commençais à bien connaître cette personne et je ne désirai que gagner son amitié, non sa haine. L'aider à perfectionner ses techniques de combat ? Pourquoi pas. Après tout, cela me permettra de m'améliorer également. D'un hochement de tête, j'ai accepté la proposition du Valkor. C'est donc pour cette raison que nous nous trouvons tout les deux dans le décor neigeux de Midgard, chacun face à l'autre. L'historien semblait être prêt à entamer le combat. Quand à moi, j'avais sorti le petit bâton blanc de ma poche et en appuyant sur le bouton présent dessus, j'avais permis à l'arme de prendre la forme avec laquelle je combattais toujours: celle d'un trident. Jetant un sourire amical à mon adversaire du jour, je répondis à sa question.

Commençons, compagnons !

C'était une toute nouvelle perspective dans son art du combat qui s'ouvrait là au métisse. Contrairement aux hors-la-loi et autres dissidents auxquels l'opposaient d'ordinaire ses confrontations, Casey était doté d'un type d'arme contre lequel il n'avait pas l'habitude de lutter. Et ce, tant par sa portée que par la catégorie de l'objet en question, d'ores et déjà menaçant par sa seule apparence. La méfiance était de mise, mais cela ne l'empêcherait pas de brûler d'envie d'en savoir plus sur le mode d'utilisation d'un jouet du genre. Ce combat était avant tout formatif, et Arsiesys sentait par avance que pour s'éduquer, il allait s'éduquer face à « Calypso ». La seule dimension de l'arme était déjà chose impressionnante, mais son tranchant avait également de quoi faire pâlir les coutelas et masse arborés par les amateurs de bas étages qu'il avait coutume de défaire. Rien que par ce fait, la leçon était plaisante. Quand au reste, seul l'engagement était attendu pour en savoir plus. C'était une autre facette de la bataille que discernait à présent l'historien.

Car comme toujours, le réel danger se présentait en cas d'approche exagérée. Le problème par rapport à ses connaissances sur le sujet étant que d'après les proportions de l'engin, le gêner dans ses tirs les plus délicats ne serait pas ardu pour l'aventurier. Une astuce était à trouver, sans doute. Chaque personne a son talon d'Achille et il suffit de mettre le doigt dessus. Dans le présent cas, en territoire inconnu, il allait être difficile de s'adapter avant d'avoir fait l'expérience de ce style encore flou. Ce n'est pas parce qu'il l'avait eu en tant qu'allié que le fils du désert pourrait décoder si facilement le savoir-faire de l'argonate, s'attardant plus aux gestes de l'adversaire qu'à son propre corps. L'étude pouvait commencer. Choisissant de faire dans le classique pour poursuivre dans l'idée d'une thèse comparative, une poignée de pas sans réel calcul précédèrent un tir de semonce. Seulement, ce ne serait pas aussi routinier que prévu. Transcendant l'espace par la magie, le possesseur de l'instrument tant redouté réduisit à un rien la distance entre eux en un clin d'oeil, et un lourd coup fut porté au flanc de l'archer, anéantissant son souffle. Lourd mais pas blessant. Ca commençait bien...

L'affrontement venait de commencer. Arsiesys était une personne dont je n'ai eu l'occasion de voir les capacités qu'une seule fois, face au Vieiloursmaur et au Vieumaur. Et cette fois-là, il était mon compagnon de combat. Malheureusement pour moi, il était dans le camp opposé aujourd'hui et donc, sa façon de combattre serait différente. Mais cela est également mon cas et je compte le surprendre d'une certaine façon. Fermant mes paupières, je concentre le mana présent dans l'environnement puis l'attire vers moi. Je n'ai jamais été un utilisateur de la magie mais là, je n'avais pas le choix. Heureusement pour moi, ma technique ne mettait pas beaucoup de temps à s'activer. Le mana suffisamment concentré, je sentis mon corps comme être aspiré par l'énergie magique tandis que mon corps disparut subitement des lieux. Je m'étais complètement évaporé, comme effacé de ce monde. Mais cela ne dura pas. Je suis réapparu à quelques mètres d'Arsiesys tout en dirigeant mon trident vers lui. Mon coup fut un véritable succès, l'Archer magique ne pouvant strictement rien faire face à un coup aussi surprenant.

Alors, t'en penses quoi de ça, hein ? lui dis-je sur un ton amusé

A peine avais-je déplacé Calypso pour l'éloigner du Valkor venant de s'être fait frappé, que déjà, un nouveau coup vola une nouvelle fois ma cible, le touchant avec succès. Hum, décidément, bien qu'Arsiesys excellait dans l'art du combat à distance et de la maîtrise du mana, il n'était pas aussi doué que moi dans cet art que représentait la défense. Un sourire naquit alors sur mon visage: d'habitude, j'avais pas mal de difficulté à combattre des spécialistes des armes à distance mais face à Arsiesys, je m'en sortais pas trop mal. Soit il avait décidé de ne pas se donner à fond face à moi ou soit j'avais tout bonnement acquis une expérience étonnante. Je pense que c'est la seconde hypothèse qui doit la plus proche de la vérité, après tout, n'était-ce pas l'Historien qui, de base, voulait s'entraîner ? Cependant, mon adversaire ne semblait être là uniquement pour prendre des coups. Ainsi, il décocha une multitude de flèches de mana, faisant arriver vers moi une vague de lueur bleue qui s'annonçait assez dangereuse. Prenant Calypso à deux mains, je me mis à faire une série de mouvement, me permettant ainsi d'éviter les attaques des projectiles magiques sans pour autant être blessé. Bien qu'il fut stoppé, cet assaut fut des plus virulents, en particulier pour le trident: son manche avait gagné en chaleur. Hum, pas mal... En tout cas, je n'ai pas intérêt à subir un tel assaut encore, sans quoi, je crains bien que mon arme se brisera en deux et cela sera quelque peu embêtant...

Son souhait de se placer en observateur s'était changé en arme retournée contre lui, et voilà qu'il se retrouvait débordé par la soudaineté de l'assaut de son partenaire. Quitte à faire face à une arme encore méconnue de sa culture pourtant sans limites sous certains aspects, le faire contre un adversaire de niveau moindre eut peut-être été préférable. Devoir « jouer » à l'aveugle tout en étant mis en opposition avec quelqu'un de niveau sensiblement proche du sien était un calvaire innommable. Quelle chance que ce ne soit que de l'entrainement, sans quoi cela aurait pu très mal tourner pour assurer sa survie. Au moins saurait-il à quoi s'en tenir à l'avenir, et disposait désormais d'une base solide afin de concocter une stratégie valable et optimale face à ce type d'adversaire. Pour l'heure, la défaite était complète, mais rien ne l'empêcherait de prendre sa revanche d'ici quelques temps une fois la technique de Casey décryptée. Ce n'était pas pour tout de suite, en effet, mais la patience était l'une de ses vertus. L'étude des informations recueillies en serait la preuve, car il fallait que rien ne puisse l'empêcher de mener à bien sa mission. Pour cela, être apte à contrer n'importe quelle menace mettant en péril ses travaux était primordial, et ce genre de préparation ne pouvait que profite r à son art du combat.

La force était bien belle, mais n'étant pas fait pour la lutte à la base, le besoin de se cultiver pour parfaire sa polyvalence et ses compétences était grand. C'était également le seul moyen de ne pas être un fardeau pour ses équipiers que de s'instruire au maximum et d'approfondir ses méthodes. Le courant suivi par ses techniques n'était pas le plus répandu, loin s'en faut, et apprendre directement d'un maître plus doué apparaissait comme nettement plus tendu depuis la disparition du sien. Le seul fait de trouver un être se battant identiquement était déjà une rareté, alors quelqu'un en sachant plus long que lui... Deux nouveaux coups portés avec succès malgré son obstination à décocher un feu nourri finirent de le décourager d'arriver à quoi que ce soit en l'état. Si aucune blessure grave n'était à dénoter sur son corps, il aurait pu en être tout autrement de sa fierté si son tempérament n'avait pas été ce qu'il est. Une raclée mémorable, d'accord, mais riche en enseignements, au moins. C'était toujours ça de pris. Se soucier de la défaite n'était pas dans ses habitudes, tant que cela ne compromettait pas la tâche dont il était investi, ou encore sa simple existence. Or, en toute logique, Casey n'avait aucune raison de vouloir sa peau, et mordre la poussière n'avait donc pas grand chose de si terrible à ses yeux. Ce n'était la preuve que d'une chose; que son camarade était remarquable au combat. Ni plus, ni moins. De quoi faire la fierté de la guilde. La respiration saccadée, malmené par les coups reçus un sourire prit place sur ses traits alors que l'arc Artemis disparaissait entre ses doigts.

Nous avions beau poursuivre ce combat d'entraînement que nous savions déjà qui en était le vainqueur: moi-même. Les uns après les autres, les coups de l'Archer de Mana furent stoppés, déviés voir même esquivés. Pas un seul de ses projectiles à la lueur bleue n'arriva à atteindre sa cible, me montrant par la même occasion à quel point j'avais pu améliorer mon talent au combat. Il restait cependant quelques détails à modifier, à améliorer, comme la portée de mon arme. J'ai tendance à frapper hors de portée et pour preuve, une fois encore, j'avais raté ma cible, qui était cette fois-ci le Valkor du Divum Legi, ayant porté un coup trop tôt. Du coup, la partie contondante du trident s'abattit sur le sol, sans subir de dommages cependant. Mais je n'en avais pas terminé avec mon ami, loin de là. Bien que m'envoyant une nouvelle salve de flèches azur, j'ai réussi, sans rencontrer de réelles difficultés, à esquiver les attaques de mon antagoniste du jour. Cette fois, j'avais non seulement mis en échec son offensive mais en plus, j'étais suffisamment proche de lui pour porter une attaque de Calypso vers lui tout en étant sûr que mon coup ne sera pas hors portée. Alors que je m'apprêtai à abattre le bâton du grand trident blanc sur son épaule gauche, Arsiesys me demanda de stopper mon offensive: il arrêtait ce combat ainsi. J'ai arrêté mon arme, appuyant par la même occasion sur le mécanisme qui permettait à cette dernière de retrouver son aspect de bâton de cinquante centimètres. Rangeant l'arme dans ma poche, je m'approche donc de mon ami, le regardant avec un sourire.

J'espère que j'ai pu suffisamment t'aider avec cet entraînement, l'ami ? En tout cas, je te remercie. T'affronter fut un honneur pour moi.